Conjuguant racisme et misère sociale, un fait divers qui remonte à la crise économique de 1929 est exhumé en images par une maison d’édition concentrée sur “les formes d’expression picturale issues du développement des mouvements sociaux et politiques contestataires”. Lecture salutaire en période de stigmatisations décomplexées et d’activisme mou.
Au cœur du Dixieland, l’Alabama appliqua avec zèle les principes ségrégationnistes qui succédèrent à l’esclavage dans les états du Sud après 1875. C’est là que débute l’histoire, en 1931. Des vagabonds sont montés dans un train de marchandises pour fuir la grande dépression et chercher ailleurs de quoi subsister. Une bagarre éclate, le convoi est arrêté et les hobos sont expulsés. Parmi eux, neuf jeunes hommes ciblés pour leur couleur de peau, on les accuse de viol sur deux blanches qui se trouvaient à bord, vagabondes comme les autres, elles confirmeront l’accusation pour éviter les ennuis. Mieux vaut être un homme blanc qu’une femme blanche, et mieux vaut être une femme blanche qu’un homme noir : hiérarchie de la misère. Les garçons échappent au lynchage mais se retrouvent embarqués dans un procès rapidement bâclé, on les condamne à la chaise électrique à l’exception du plus jeune d’entre eux. Il a 13 ans, l’aîné du groupe en a 19. Ce cas tragiquement banal évoluera de façon inattendue avec l’implication du groupe International Labor Defense (ILD), spécialisé d’ordinaire dans le soutien aux militants politiques et syndicaux. Retentissement jusqu’au delà de l’Atlantique, décisions de justice successives vers des conclusions qu’on qualifiera d’heureuses, au regard de ce qui aurait dû “normalement” se passer. L’affaire inspirera Sartre pour La Putain respectueuse.
Scottsboro Alabama établit la chronologie du fait divers, le contextualise en plusieurs textes introductifs et critiques assez passionnants. Au cœur de l’ouvrage, un récit réalisé en 1935 alors que le sort des neuf garçons n’est pas encore scellé, sur un principe très couru dans les milieux militants de l’époque : fabrication artisanale en linogravure destinée à l’émancipation et à la lutte, devant pour cela être accessible au plus grand nombre d’où la quasi absence de textes (lire Graver l’image à la pointe de l’épée). En préface à l’édition originale, le journaliste Michael Gold parle d’un “art nouveau enfin libéré de l’atmosphère méphitique des ateliers bourgeois et désormais exposé partout, là où les masses populaires vivent et luttent pour l’avènement d’un monde meilleur“. Pas tout à fait bande dessinée malgré la lecture séquentielle, une ode à l’union et à la révolution organisée en trois parties (L’arrivée des noirs en Amérique / les neuf garçons de Scottsborro / Blancs et noirs unissez-vous !).
La collection Action graphique des éditions l’Échappée, qui a vu entre autres belles publications celle de Cuba Grafica, sommes d’affiches cubaines, aussi les livres de Eric Drooker, éclaire de façon originale et précieuse l’histoire des luttes par des témoignages graphiques méconnus, voire oubliés, comme cette œuvre retrouvée par hasard à la fin des années 90 dans les cartons d’un militant communiste américain.
gs
Lin Shi Khan & Tony Perez – L’Échappée, 2014
PS : vous aimez les histoires de train et le lynchage des nègres ? Ceci se passe à Toulon, en novembre 2014.