Ceci n’est pas un livre de recettes illustrées. Ceci est un livre de bandes dessinées consacré aux plaisirs de bouche où figurent quelques recettes illustrées, nuance. Guillaume Long est de retour, et il n’est pas content a faim. Nous aussi.

Il aime se mettre en scène dans les histoires qu’il raconte, alors parlons de moi pour changer. Je ne suis pas du genre à cuisiner, vous savez. Faire revenir des oignons et couper des échalotes à la moindre dalle, non merci. Sardines bio d’accord, petits pois nourris au grain, jambon élevé sous la mère, l’important est de se nourrir. J’ai toujours été très attentif au ratio temps de préparation / bâfrage. Comment ne pas sombrer dans la violence, constatant la vitesse avec laquelle vos convives avalent ce que vous venez de leur servir non sans avoir affiné la composition de l’assiette, et ils continuent de parler de la situation économico-sociale de l’Europe plutôt que de savourer, les cons ! Personnellement, j’évite le drame en n’invitant jamais personne, sauf les amis qui acceptent de cuisiner plutôt que d’apporter la sempiternelle bouteille. Des plus talentueux, des plus motivés, des qui savent y faire, des qu’ont pas peur. Des gens comme Guillaume Long.

J’avais lu quelque part que les frères Coen, cinéastes de leur état, n’avaient pas de cuisine dans leur loft new-yorkais. Peut-être n’est-ce pas à New-York, peut-être n’est-ce pas un loft mais peu importe, ces types n’ont pas de cuisine chez eux. Luxe suprême quand on y pense, même si supprimer la cuisine permet d’ajouter des lits et ce n’est pas négligeable compte tenu de la crise du logement. Quoi mettre à la place de la cuisine ? Une chambre supplémentaire ? Une salle de gym ? Une piscine d’intérieur ? Luxe suprême, car il faut bien déduire de tout cela que les frères Coen vont au restaurant trois fois par jour sans compter le goûter, à moins de se faire livrer des pizzas par Twenty-one minit’.

La question est : pourraient-ils s’intéresser à la lecture de À boire et à manger, ABAM pour les intimes, ce blog du Monde nourri au petits oignons par Guillaume Long, qui attire une communauté de lecteurs de plus en plus dense et impatiente ?

Si ça se trouve, les frères Coen n’ont pas d’accès Internet non plus. Qu’à cela ne tienne, Guillaume a trié ses notes, redessiné beaucoup de choses pour un beau livre tout jaune récemment sorti aux éditions Gallimard (les mêmes avaient publié En cuisine avec Alain Passart, de Christophe Blain). Il y parle de son rapport aux plaisirs culinaires, de légumes, de fruits, de poisson non pané de préférence, de café (sans sucre), de recettes, de méthode, de bonnes adresses, de matériel, d’astuces, de vocabulaire, de saisons, d’environnement, de pâtes, de gâteau au chocolat, de pignons de pin (p.86), d’apéro, de raclette, de voyages dont il a extrait la moelle gastronomique. Entre autres.

Tout être humain normalement constitué salive à certaines évocations, qui éveillent l’épicurien tapi en soi, l’artisan aussi. Il n’est ici question que d’expérimentation intime, de simplicité, pas d’esbrouffe à la regardez comme je me la pète avec ma recette trois étoiles sur son coulis d’arrogance, mais d’humour et d’auto-dérision, de gourmandise, on est là pour se faire plaisir et accessoirement, faire plaisir aux autres. Ça, même les frères Coen peuvent l’admettre et en tirer la conclusion qui s’impose : le temps est venu de vider la piscine d’intérieur, dude, de se procurer deux ou trois ustensiles (p.35) et de s’y mettre.


Nombreux parmi vous sont en mesure d’acheter À boire et à  manger, livre de bandes dessinées de 140 pages destiné à ne plus quitter votre cuisine (faites attention aux mains grasses tout de même).

Moins nombreux peuvent explicitement profiter des talents de Guillaume Long, qui habite loin. Notez que les Toulonnais de résidence ou d’occasion le pourront, s’ils sont en ville samedi 12 mai.