Si vous demandez 73304-23-4153-6-96-8 à un libraire quelconque, il vous répondra probablement qu’il ne connaît pas les codes-barres des livres publiés (Paola n’est pas une libraire quelconque). Il fallait un certain sens de l’humour pour proposer un titre pareil à son éditeur, et un culot certain pour l’accepter.
Thomas Ott est suisse, illustrateur, orfèvre en carte à gratter. À l’occasion, il écrit des histoires que L’Association relaie pour la plus grande joie des lecteurs francophones.
Francophones ou pas, d’ailleurs peu importe, car les bandes dessinées de Thomas Ott sont muettes.
Oui : on dit bandes dessinées bien que le gratteur retranche de la matière pour faire apparaître l’image, au contraire du dessinateur.
L’art de manier la lame en creusant le noir. Le procédé s’impose. Chez Thomas Ott le sourire est de guingois, l’histoire dramatique et la mort violente, dans la vieille tradition des pulps et comics d’après guerre.
Un homme ramasse un bout de papier sur lequel on a griffonné quelques chiffres.
C’est ce que raconte déjà la couverture, abandonnant lecteur et protagoniste à leur stupeur. On n’a jamais vu intitulé aussi improbable, note le premier ; le sens de ces nombres m’échappe, déplore le second.
Puis l’inscription révèle son emprise. Pour qui possède la bandelette, le rapport aux nombres devient assujetti à la séquence, chaque chiffre appelant les suivants.
Vous ouvrez un paquet de cartes pour en extraire deux au hasard. Un 7 de cœur, un 3 de pique. Puis vous comptez l’argent planqué dans une enveloppe : 304 dollars. Etc.
À partir de ce canevas simple et génial, Ott distord les codes de la série noire. Il y a bien les faux espoirs et la déchéance. Action, réaction. Mais la frontière est ténue entre rêve et réalité. Est-on certain de ce qui arrive ? “You good people are always so sure they’re right”, dit l’avant-propos. On pense inévitablement à David Lynch.
Quand tous les chiffres sont épuisés, le cycle reprend. Cette notion de boucle articule le récit qui s’achèvera comme il a commencé, dans le même lieu, sur le même plan.
À un moment clé de l’histoire, le héros invite sa dulcinée dans un bar où joue le “Dr. Moebius octet”. Un clin d’œil, sans doute, à celui qui a laissé son nom au ruban que l’on peut parcourir intégralement en revenant au point de départ, sans jamais interrompre son tracé.
Nombres, numération, numérologie. Les amateurs spéculeront sur l’omniprésence du chiffre Huit (jusque dans le découpage en chapitres).
Il faudra reprendre le livre noir de Thomas Ott au moins huit fois pour en apprécier tous les contours. Ouvrage cartonné, dos toilé, facture impeccable. Demandez-le à votre libraire.
Gilles
73304-23-4153-6-96-8
L’Association, 20€