Un système narratif original : deux cases par planche, pas de phylactère. Les dialogues et voix-off sont inscrits hors champ ou prennent toute la place pour signaler le changement de chapitre.
L’univers visuel d’Anthony Pastor lorgne vers le cinéma et les séries américaines des années soixante-dix. Au programme : mauvais goût poisseux, pattes d’eph, coupes afro, cols en V et Ray-bans (très moderne, finalement).
Son dessin est d’une dextérité particulière, s’appuyant sans doute sur une base photographique. L’étrangeté sourd de ces hachures savantes, de cette absence de contours, une technique affinée depuis Ice cream même si l’auteur a choisi cette fois-ci de travailler en couleur.
Entrant dans Ice cream, un polar apparemment respectueux du genre, on se disait que quelque chose n’allait pas. Cela ne venait pas de l’histoire un peu hermétique (on est habitué depuis Chandler), c’était autre chose. L’étrangeté se confirmait avec l’apparition soudaine d’un protagoniste à tête d’oiseau.
Les dessins et mises en scène de Hotel Koral sont ultra-réalistes. Pas de tête d’oiseau, rien que du plausible. L’auteur nous amène à situer l’action dans le temps et l’espace (l’Amérique de Jackie Brown, donc), mais encore une fois, il nous mène en bateau. Le récit nous enseigne que le pays a vécu une guerre civile et en porte toujours les stigmates. Que ses frontières sont fermées et que la milice rode. S’il s’agit des Etats-Unis, ce ne sont pas exactement ceux que nous connaissons.
Une jeune fille cherche à tuer le père en fouillant son passé. Elle se rend dans cet hôtel de deuxième zone construit sur un non-dit, croise un jeune escroc et un papi indigne.
Le plaisir de lecture ne se résume pas à l’intrigue, à d’hypothétiques révélations à venir. Il est surtout relatif à l’ambiance. La séduction opère d’une improbable association : canevas dramatique et dessin hyper réaliste d’une part, choix de l’uchronie et du kitsh vestimentaire de l’autre. La noirceur du propos n’est pas forcément atténuée, elle est décalée. Vers quoi ?
À noter : on retrouve Anthony Pastor au sommaire de “”Les bonnes manières d’hier et d’aujourd’hui”, ouvrage collectif au casting haut de gamme (Debeurme, Baudoin, Benoît Jacques, Ayroles, Gabrielle Piquet, Natacha Sicaud). Son système narratif s’enrichit de bulles pour l’occasion, se projette dans la France profonde et joue de la bichromie noir/rouge imposée.
Gilles
Hotel Koral
Actes sud / L’An 2, 2008. 22€
Les bonnes manières d’hier et d’aujourd’hui (traité de savoir-vivre en certaines occasions choisies)
Actes sud / L’An 2, 2008. 19€
Ice cream
L’An 2, 2005. 19€