Françafrique un jour, Françafrique toujours ? Raphaël Granvaud présente le livre qu’il a coécrit avec David Mauger sur la perpétuelle ingérence française en Côte d’Ivoire. Samedi 8 septembre à 18h.

Fin de siècle. Quelques hommes très déterminés visent la succession de Félix Houphouët-Boigny. Sur la ligne de départ : Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo. La course ne s’achèvera que lorsque l’auront décidé Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy, présidents successifs d’une “Métropole” toujours encline à considérer le nègre comme un grand enfant dont on mettra les biens sous tutelle en repoussant sine die l’âge de sa majorité.

La France est donc allée jusqu’à l’intervention militaire (avril 2011) pour démettre Laurent Gbagbo, qui attend encore à ce jour son jugement par la Cour Pénale Internationale. On l’accuse de crimes contre l’humanité, quand le livre de Granvaud et Mauger tend à montrer qu’il n’est sans doute pas plus ni moins infréquentable que ses adversaires. Ses torts, selon Paris : avoir été dans sa jeunesse un opposant “de gauche” à Houphouët (en ce temps béni des post-colonies où on pouvait la veille de l’élection annoncer leur score à tous les compétiteurs), s’être imposé président après un court épisode Konan Bédié (sinistre inventeur du principe d’ivoirité) au grand dam d’Alassane Ouattara, l’homme de la France et du FMI (octobre 2000), puis menacer les intérêts des grandes entreprises hexagonales plus habituées aux contrats gré à gré qu’à une stimulante mise en concurrence. Bilan : une “rébellion” alimentée par le Burkina Faso de Blaise Compaoré (un autre infréquentable très fréquenté par les autorités françaises), un putsch à moitié réussi, le nord rendu à la féodalité par des chefs de guerre, une dizaine d’années d’occupation militaire “pacificatrice” et “impartiale” via l’opération Licorne, des “accords de défense” renforcés, des contrats léonins au bénéfice de nos meilleurs investisseurs, quelques charniers et des milliers de morts. Mesdames et messieurs, sous vos applaudissements.

À chaque nouvelle opération extérieure de l’armée française en Afrique, l’urgence d’une situation dramatique sert de prétexte pour écarter toutes les voix critiques. Au mieux, jusque dans le camp des détracteurs de l’impérialisme français, on se contente trop souvent de regretter que l’armée française soit la seule à même d’intervenir et qu’il faille s’en contenter au moins provisoirement, faute de mieux. C’est à nouveau le refrain qui nous a été servi lors de l’opération Serval au Mali en 2013, comme de l’opération Sangaris en Centrafrique quelques mois plus tard. Le bilan de ces opérations est rarement fait et quand il est fait, il est rapidement oublié. Il n’est pourtant pas si difficile de constater que la présence militaire française – bases, coopération, interventions – dans ses anciennes colonies n’a jamais été une aide à la résolution des crises africaines par les Africains eux-mêmes, parce qu’elle vise d’abord à se perpétuer. En Côte d’Ivoire comme dans d’autres pays, l’armée française n’a jamais été ni un arbitre neutre ni un acteur désintéressé ; jamais un facteur de solution durable, mais toujours une partie du problème, et pas le moindre. Il serait temps que les citoyens français s’en rendent compte, puisque c’est en leur nom que cette politique est menée. Avant de prétendre vouloir “aider l’Afrique”, il est urgent d’arrêter de lui nuire.”

Un pompier pyromane (Agone, août 2018)

couv_3119

Membres de l’association Survie, Raphaël Granvaud et David Mauger sont tous deux rédacteurs pour Billets d’Afrique. Le premier est également l’auteur de Que fait l’armée française en Afrique ? et de Areva en Afrique (Agone, 2009 et 2012).