« Au final, c’est quoi la bédé ? J’ai pas trop compris.
– Bah j’ai une métaphore que j’utilise souvent : la bédé, c’est comme un roman, mais avec plus d’images et moins de descriptions, des personnages rigolos, 10 grammes de beurre et un peu de fond de veau pour lier
» (Antoine Marchalot)

 

Mongo est un troll
Philippe Squarzoni – Delcourt

Réputé pour son approche radicale du réel, à travers des récits-documents nourris d’entretiens, de faits et de réflexions personnelles, Philippe Squarzoni livre une fiction médiévale-fantastique ne ressemblant à aucune autre, pas forcément plus joyeuse que son précédent opus consacré au réchauffement climatique. “Je ne sais plus d’où est venue l’envie de faire se rencontrer les univers de Bukowski, Bosch et Brueghel, mais c’est elle qui a fixé le cap de ce livre”, écrit-il en exergue. Deux pilleurs de tombes sur le retour croisent la route d’une sorcière au cœur d’artichaut et diverses autres créatures qui ne leur veulent pas toujours du bien. Balade sans issue qui vaut bien des polars dépressifs, à l’intention des lecteurs de Tolkien et de tous les autres.

 

Le linge sale
Rabaté et Gnaedig – Vents d’Ouest

Un mari cocu sort de prison et projette de massacrer une famille entière d’affreux, sales et méchants. On se trouve très loin des ors de la République. L’ambiance serait plutôt province, ferraille, merguez, hôtel borgne et RSA. Rabaté réussit à rendre tous les protagonistes profondément antipathiques tout au long de l’histoire ou presque, ce qui chez lui relève de l’exploit. Il craquera dans la dernière ligne droite : la peur de gagner. On s’en fout, le principal est que le lecteur s’y retrouve. C’est pas si grave d’aimer les gens, après tout. Très bonne cuvée, plus noire qu’à l’accoutumée, honnêtement servie par le dessin impersonnel de Sébastien Gnaedig.

 

Les pénates
Vincent Sorel et Alexandre Franc – Professeur Cyclope / Casterman

De nos jours à Paris, un homme, une femme, leur fille. Le couple se délite lentement. Un copain déboule, sa famille a été emportée par un tsunami en Asie voilà quelques mois. Nouvellement affecté en région parisienne, il cherche un logement, le couple va l’héberger en attendant. Il ne se départit pas d’un sourire qui détonne avec sa propre situation et l’ambiance parfois lourde de l’appartement. Du point de vue scénaristique, il ne fallait pas en faire un dépressif sinon il n’aurait jamais réussi à pécho l’épouse du copain. D’un autre côté, il fallait trouver un motif à son intrusion à durée prolongée. Alors va pour le tsunami. Mais rien ne sonne vraiment juste dans ce récit qu’on suit au sens strict du terme, sans jamais parvenir à établir le contact.

 

Elle
Francis Masse – L’Association

Pierre angulaire de la bande dessinée moderne, l’œuvre de Francis Masse est souvent soutenue par la critique, artistes et auteurs parmi les plus importants et les plus reconnus (eux) ne tarissent pas d’éloges à son endroit. Hélas, ce n’est pas cela qui va mettre du beurre dans les épinards. On en vient donc à la reconnaissance du public. Toi, de l’autre côté de l’écran, qui te demandes de qui on parle. Ou qui, ayant découvert Francis Masse par la réédition de On m’appelle l’Avalanche à l’Association, cet ouvrage foisonnant, expectorant son texte et ses hachures en mode automatique, t’es dit : on ne m’y reprendra plus. Elle marque le retour de Masse à la bande dessinée. Un petit homme dans une prison en forme de fauteuil attend que celle qu’il a vraisemblablement assassinée vienne enfin au parloir. C’est l’anti-Avalanche par son cadre graphique contenu et ses formes verbales limitées, un exercice poétique en contraintes. Pour autant, il ne s’agit sans doute pas de la meilleure introduction au travail hors norme de l’auteur. Profitons alors de ces quelques lignes pour signaler la réédition prochaine et attendue de l’Encyclopédie de Masse. Signalons aussi la persistance éditoriale de La mare aux pirates et Les deux du balcon, ouvrages de référence qui, pour le coup, témoignent parfaitement de l’humour, de l’érudition iconoclaste et de l’incomparable dextérité graphique d’un artiste à (re)connaître absolument.

 

Coeur glacé
Johan de Moor et Gilles Dal

Raconte par le poncif la dépression (décidément, c’est la mode) d’un quadra moderne. Directeur du “service relations publiques d’un grand groupe de presse“, il est blanc, repu, père, sexuellement satisfait, socialement reconnu. Il déplore l’individualisme et la consommation sans pouvoir en sortir car son nombril n’indique pas la marche à suivre. Sa vie est “moyenne” et il est l'”homme du XXIe siècle“, dit l’accroche publicitaire qui confond homme du XXIe siècle et cadre CSP+ susceptible d’acheter le livre. “Je ne m’intéresse plus trop à  la politique. Même si sur certains sujets, je me sens viscéralement de gauche. Cela dit, je reconnais à la droite de meilleurs capacités de gestion. Quoique la crise économique mondiale m’ait fait prendre en grippe le monde de la finance qui tourne fou. Je suis partisan d’une politique qui concilierait croissance économique et justice sociale. Une politique qui remettrait l’humain au cœur du système. Une politique centrée sur l’intérêt collectif“. Ron. N’oubliez pas de me réveiller en sortant.

 

Sexe T1
Joe Casey & Piotr Kowalski – Delcourt

Comic book ordinaire avec du sexe explicite dedans. Pas si ordinaire que ça, donc. Mais à une ou deux fellations près, les thématiques restent quand même très rebattues. Le héros qui a remisé son costume pour des raisons pas très claires cherche à donner un sens à sa vie, maintenant qu’il est redevenu simple dirigeant d’une multinationale comme tout le monde. Évidemment, pendant qu’il tergiverse, les méchants de Gotham city Saturn city s’en donnent à  cœur joie. Très correctement scénarisé et dialogué, servi par un dessin industriel dans la pure tradition du genre, Sexe se lit sans déplaisir. Le sexe, justement servi à petite dose, ne vient pas accaparer tout le récit. Bonne lecture de vacances. Dommage que ce soit déjà la rentrée.

 

Jimjilbang
Jérome Dubois – Cornélius

Choc d’un voyage en Corée qui ne s’est pas déroulé conformément aux attentes du voyageur. Attendait-il quelque chose, d’ailleurs ? Ce que montre ce livre en noir et blanc impressionne. Un appétit de géométrie architecturale qui, plus que les maigres échanges qui ponctuent le récit, finit par installer le lecteur dans une position étrangement contemplative. La démarche est-elle délibérée ? Captivé par l’image, on finit par se désintéresser complètement des dialogues et des pénibles états d’âme du personnage à tête et motivations de patate.

 

RASL
Jeff Smith – Delcourt

Pour échapper à ses poursuivants, un voleur bascule dans des univers parallèles où il découvre une réalité qui n’est pas tout à fait la même ni tout à fait une autre. Un même adversaire le poursuit ou le précède, leur affrontement évoque un peu celui qui oppose Neo à l’agent Smith dans Matrix. Traitement convaincant malgré un dessin fragile, par l’auteur de Bone. À suivre.

 

Le teckel
Hervé Bourhis – Professeur Cyclope / Casterman

Les visiteurs médicaux, leurs tournées, leurs restos, leurs hôtels, leurs coups d’un soir, en un mot : l’aventure. Deux hommes que tout sépare, l’un est jeune et propre sur lui, l’autre vieillissant souffre de plaies mal cicatrisées (on l’a reconnu : c’est Jean-Pierre Marielle période Joël Séria — pattes d’eph incluses), opposent leurs techniques de vente et s’affrontent psychologiquement sur fond de scandale sanitaire à la Jacques Servier et de transgression des règles à la Edward Snowden. Divertissement de bonne qualité, trouvant le juste équilibre entre fantaisie, critique sociale et citations populaires.

 

Prokon
Peter Haars – Matière

Prokon est une ville idéale où tourne sans fin la roue vertueuse de la production-consommation. L’usine fabrique le produit. Le produit est acheté par le consommateur. Le consommateur bosse dans l’usine qui fabrique le produit. Dans l’ombre un savant fou projette d’interrompre le cycle : il a inventé un aérosol permettant de conserver la fonctionnalité des produits ad vitam æternam. Plus d’obsolescence et donc plus de consommation, et donc plus de production, et donc plus d’emploi. Horreur ! Cette bande dessinée norvégienne jamais lue en France avant la présente édition date de 1971. On pourrait dire qu’elle n’a pas vieilli, que Haars était un visionnaire etc. Mais en 1971, le pop art qui inspire la forme tirait ses dernières cartouches et Baudrillard avait déjà publié La société de consommation. Non, Prokon n’était pas en avance, et si ce délicieux petit livre nous semble à ce point moderne, c’est juste parce que la révolution est un peu en retard.

 

Red team
Garth Ennis & Craig Cermak – Panini comics

Justiciers dans la ville. Un thème mâché, ressassé, régurgité par le business de l’entertainment. En français on dirait le marché du divertissement mais avec l’américain, on voit tout de suite à qui on a affaire. Ah, le vigilante ! Le type qui fait le nettoyage en court-circuitant la justice officielle. Vous comprenez, les procédures sont longues, les avocats pinaillent, les juges tergiversent, innocentent les coupables et parfois même des innocents. Alors il n’y a qu’une seule loi qui vaille, celle du talion. Ici, quatre flics à la conscience professionnelle irréprochable se mettent à assassiner des méchants qui l’ont bien mérité. Attention : en dehors des heures de bureau, puisqu’ils sont irréprochables. Pour que le lecteur accompagne favorablement la dynamique, les méchants “doivent être vraiment mauvais” dit un gentil. Tiens, un chef de gang tueur de flic. Pan. Tiens, un curé pédophile, pan. Tiens, ce spéculateur infâme qui a “ruiné Dieu sait combien de gens, y compris des couples âgés qui comptaient sur leur retraite”, la corde. Tiens, sale trader violent violeur plein de coke, mange ton nez. Variant la méthodologie, nos quatre biquets souffrent de questionnements existentiels comme d’autres seraient perclus de rhumatismes. Mais il faut bien continuer son petit bonhomme de chemin en intégrant la douleur. The show must go on. En face : d’autres policiers. De vraies ordures, ceux là. Ils tuent aussi en loucedé mais font ça juste pour le pognon. Quel est ce monde ? N’y a-t-il donc plus de morale ? L’argent ça se gagne bon sang, ça ne se prend pas dans la poche d’un cadavre ! Il y a des limites qu’un honnête scénariste américain ne saurait franchir. Pas de doute, la narration est intelligente et l’histoire ficelée au millimètre car Garth Ennis est un très bon scénariste. Aussi un humaniste de la trempe de Frank Miller.

 

L’effet Durian
Saulne – Casterman

Deux sœurs grandissent côte à côte. L’une est quasi aveugle, ne distingue à peu près correctement les images que si elle les a sous le nez. Belle idée : que Jade ne puisse voir au loin que par le biais d’un appareil photo, et qu’elle se retrouve ainsi en décalage permanent, physique et temporel, avec le monde. Casse-cou et rebelle, son portrait intrigue, et les pages du livre se tournent sans ennui. Mais qu’il s’agisse d’un parti pris plastique ou d’une faiblesse de dessin, l’auteur caractérise très peu ses personnages. Ils se ressemblent tous et cela devient problématique quand leur nombre augmente. Tant qu’on est sur la leçon de vie à trois ou quatre dans l’appartement familial le propos reste fluide, il devient confus sur la fin avec des raccourcis et une incursion dans l’écoterrorisme assez nébuleuse, même en regardant de très près.

 

Les vieux fourneaux T1, ceux qui restent
Lupano et Cauuet – Dargaud

Trois vieillards aidés d’une jeune femme entreprennent de retrouver l’ancien patron de l’usine pharmaceutique dans laquelle deux d’entre eux ont bossé, histoire de lui rappeler le bon vieux temps. Les personnages sont fictionnels, aucune ambiguïté là-dessus, avec leur truculence un peu forcée et ce fantasme du pépé de choc qui retrouve sa vigueur pour un dernier tour de piste. Autres bémols cantonnant le livre au registre du divertissement — un divertissement de très bonne tenue au demeurant — la temporalité approximative et une tendance à manier les stéréotypes à  la truelle, des stéréotypes qui fleurent bon les trente glorieuses. Ainsi, les rapports entre patrons et salariés évoquent davantage Don Camillo versus Peppone que les “bouleversements sociaux de notre époque”, comme le prétend l’argumentaire de l’éditeur.

 

Carnation
Xavier Mussat – Casterman

Qui a dit que la bande dessinée autobiographique était morte, étouffée par trop de pages grasses et acnéiques ? La nausée, certes, avec cette alliance objective entre quelques auteurs ne portant aucune histoire ni réflexion, et manifestement pas même autour de leur nombril, et des éditeurs hypnotisés par le succès de Persepolis. Mais la martingale n’était pas là, tout ce petit monde a depuis quelques années lentement déporté son application ailleurs (des adaptations littéraires aux témoignages / enquêtes / documents journalistiques qui encombrent aujourd’hui les rayons). Xavier Mussat rappelle ce que l’autobiographie peut révéler à chacun, en tenant le journal somme toute assez banal d’une passion destructrice. Subtil équilibre entre la mise à distance et l’exhibitionnisme, aucun effet ne vise à susciter l’empathie du lecteur. Texte rugueux, dessin nourri de gravure, somptueux. Parfois quelques détours métaphoriques un peu longs, quand l’auteur projette et dissèque plus qu’il ne raconte, mais pas de quoi relativiser : Carnation est un des grands livres de l’année.

 

The sixth gun T1 & 2
Cullen Bunn & Brian Hurtt – Urban comics

Croisement réussi entre récit horrifique et western (très loin de Bloody Mary, voir plus bas). Scénario intelligent et personnages substantiels, même les filles semblent parfois douées d’humanité : voilà  ce qui arrive quand on ne les réduit pas au statut d’objets masturbatoires. Le haut du panier du comics mainstream, qui ravira certainement les inconditionnels du Goon.

 

…Et tu connaîtras l’univers et les dieux
Jesse Jacobs – Tanibis

Des dieux qui pensent comme de vulgaires humains jouent avec le carbone pour peupler la terre. Le plus taquin donne le goût du sang aux innocents, après que la première femme a expliqué au premier homme comment se comporter en société car elle a tout lu madame de Rothschild. Sur le plan philosophique et métaphysique ça ne va pas très loin, ne serait-ce que parce que ces dieux de seconde zone et le petit chef à qui ils rendent compte se chicotent et comparent leurs projets comme on le ferait dans un bureau d’études : ne manque que la machine à café au fond du cosmos, juste à côté de la salle des archives. Par contre, c’est un régal pour les yeux. La bichromie bleue-violette articule l’organique et le géométrique, le courbe et le droit, le géant et le minuscule, la complexité végétale et les perspectives impossibles. À lire sous influence, pour en apprécier toutes les vertus hallucinogènes.

 

Coupes à coeur
Koren Shadmi – Ici Même

Cinq histoires d’amour qui font ouille. Les personnages de Shadmi s’accordent difficilement au monde qui les entoure, déphasés par un cauchemar récurrent, un fantasme appuyé ou une nostalgie trop prégnante. Cela donne une impression de flottement, suscite le malaise une fois qu’on se rend compte du malentendu — ce qui n’arrive jamais à  la première page, ce qui arrive parfois assez loin dans le récit. Grâce à un dessin semi-réaliste, sobre et sans tâche, Shadmi cultive les faux semblants, entraîne son attelage sur une piste balisée de boutons de roses avant que les tiges n’apparaissent comme autant d’obstacles, il laisse parfois croire qu’une issue positive est possible — lire Abaddon (Ici Même, 2013) — jusqu’à la chute, souvent brutale, toujours triste, où lecteur et protagonistes finiront embrochés sur la même épine. Pas étonnant que Charles Burns prête une attention particulière à son travail, au point de l’avoir retenu pour l’anthologie Best american comics en 2009.

 

Le jardin d’Émile Bravo
Émile Bravo – Les Requins marteaux

Émerge parfois au sein d’une classe l’électron libre qui sait se faire apprécier des élèves appliqués du premier rang comme des sales gosses assis au fond près du radiateur. Émile Bravo est cet électron libre de la bande dessinée, pouvant travailler pour Dupuis ou les Requins marteaux avec une égale pertinence. Le graphisme codifié sixties et le sens de l’aventure rassurent les uns, l’acuité critique et l’humour ravageur accrochent les autres. Ce livre qui réunit des histoires courtes butinées ça et là donne un bel aperçu du talent d’Émile Bravo, vu depuis le radiateur.

 

Franky (et Nicole) n°1
Collectif – Les Requins marteaux

VRP du magazine Ferraille illustré, ex-candidat à la mairie de Bordeaux, Franky revient et il est toujours aussi belle. Ainsi donc, Ferraille illustré a planté des petites graines avant de clamser. Un premier bourgeon vient d’éclater. Le format a changé, plus cheap, et la mise en scène pervertissant les tics des hebdomadaires à l’ancienne n’est plus vraiment de mise. Reste le foutoir caractéristique des Requins. Extraits de carnets, de livres déjà publiés par ailleurs, quelques bandes et dessins originaux. Le casting est impressionnant, réunit des signatures maison et d’autres camarades de sangria (Guerse & Pichelin, Moolinex, Cizo, Olivier Texier, Winshluss, Mrzyck & Moriceau, François Ayroles, Anouk Ricard, Nine Antico, Marc Boutavant, Olivier Schrauwen, Ruppert et Mulot etc.). Alors bien sûr, compte tenu du talent de ces gens ça pourrait être encore mieux, mais le rapport prix-poids ne vous fera pas hésiter bien longtemps : 304 pages pour seulement 14,50€ ! Si vous trouvez moins cher chez un autre éditeur, Franky rembourse la différence. La prolongation hivernale qui s’intitulera Nicole (et Franky) sera à l’initiative de Cornélius.

 

Une vie de famille agréable
Antoine Marchalot – Les Requins marteaux

Strips de dingo, certains prépubliés dans Fluide glacial. La mécanique de l’humour est un système de grande précision, répétons-le, qui nécessite beaucoup d’huile (et un peu de fond de veau) mais ne doit laisser apparaître aucun rouage au risque de tout gâcher. Dans cette perspective, Marchalot s’impose comme un horloger de référence. Il trouve derrière le bordel apparent des ressorts venus de l’espace ou du fond de son esprit tordu, ce qui revient à peu près au même. Jon Landau l’a dit en 1974 : “j’ai vu l’avenir du gag, et il s’appelle Antoine Marchalot”.

 

Juliette en juillet
Joko – The Hoochie Coochie

Compagnon de route de la bande à  Choron — il a même fait de la musique avec Charlie Schlingo, Joko dessine, anime, colle des incongruités corporelles évoquant plus Topor que Sade. Son univers fétichiste et raffiné investit de façon singulière le catalogue assez peu polisson (jusque-là) de The Hoochie Coochie. Mais est-ce l’accablement de la chaleur estivale ? Cette Juliette là contient sa fantaisie et retient ses effets. Aux premières vignettes on envisage Glen Baxter, et puis fétichisme aidant on songe à Justine, à Pichard. Au bout du compte, on aura passé plus de temps sur l’île du docteur Moreau de H.G. Wells que dans les caves du divin marquis. Entre différentes pistes, Joko balance mais peine à convaincre, dommage.

 

Bloody mary
Kevin Eastman & Simon Bisley – Nickel

Tiens Bonhomme, une vieille BD de beauf parmi d’autres. Simon Bisley s’était fait connaître à  l’époque de Zenda en dessinant les corps body-buildés de Slaine. Faut aimer les protéines sinon c’est indigeste. Ici, une fille affronte des vampires et des zombies avec ses colts, la soupe mélange western, science fiction et récit horrifique. Inspiration du scénariste, on évite les loups-garous sinon c’était Twilight et il fallait changer de registre. Grand n’importe quoi “assumé” : ce n’est pas un critère, car nombreux sont ceux qui se réclament du grand n’importe quoi pour relativiser la nullité de leur travail. Voilà donc des nichons bonnet z qui tiennent tout seul pendant que la gonzesse trop bonnasse elle marave les morts-vivants. Attention. À poil tout le temps d’accord, mais elle est balèze. C’est une forte femme à forte poitrine. Que les féministes remballent donc leurs saillies. Outrances, clins d’œil répétés, Bonhomme dit : “hey je lis ça au second degré, moi, évidemment que personne ne lit ça au premier degré, ce n’est d’ailleurs même pas dessiné au premier degré, alors !” Tu peux cligner des yeux, Bonhomme, rire aussi gras et fort que tu veux, tu es quand même en train de lire une vieille BD de beauf de merde.

 

Iba
Pierre Maurel – Professeur Cyclope / Casterman

Il est souvent question de survie dans les ouvrages de Pierre Maurel. Si c’est encore le cas ici, la menace n’est plus épidémique ou politique, mais intime. Élise a un problème avec l’amie imaginaire de son enfance, intrusive et hostile à celles et ceux qui lui tournent autour au risque de les éloigner. Maurel a sans doute vu les films de fantômes japonais des années 1990-2000, de Ring à Kaïro, qui parviennent à filer les jetons sans grand effet chirurgical, jouant de postures improbables, de chevelures trop longues, de visages détournés. Il s’en délecte dans ce récit de genre bien ficelé, sans oublier d’ajouter la petite touche de critique sociale qui forme sa signature.

 

Painted desert
Lode Devroe & Pieter Van Oudheusden – Les éditions du Singe

Certains livres apparaissent en complet décalage avec le lieu et l’époque. Éditeur et auteurs inconnus au bataillon. Absence de présentation, au point que les libraires ne se souviennent pas d’avoir vu passer cet album sur un bon de commande. Un dessin téléporté depuis les années 80, entre Serge Clerc et Daniel Torres (Roco Vargas), une histoire s’appuyant sur l’extra-terrestre de Roswell qui pourtant, depuis Jacques Pradel, n’intéresse plus personne. Bref, un livre qui accumule les handicaps au point qu’il en devient sympathique, avec pour le client un degré d’exigence préalable frisant le zéro absolu. Bien joué : difficile d’être déçu dans ces conditions. La lecture, bien qu’anecdotique et surannée, n’est finalement pas désagréable. Pas traumatisante non plus.

 

Le brigand du Sertão
Wellington Srbek & Flavio Colin – Sarbacane

Aventures ancrées au début du vingtième siècle, dans cette région aride de l’Est brésilien. Propriétaires terriens esclavagistes, justiciers d’honneur, nègres émancipés, bandits sanguinaires, armée corrompue, villageois comptant les points. Peu sortiront indemnes du tumulte. La narration chapitrée segmente le récit en autant d’histoires pouvant s’apprécier de façon indépendante ou presque. Le dessin de Flavio Colin est tout à  leur service, dans un Noir et blanc évoquant parfois Brà¼no (peu de chances que l’un ait louché sur l’autre, dans la mesure où la publication originale du Brigand date de 2001). Efficace et convaincant.