Le public est extrêmement tolérant. il pardonne tout sauf le génie” (Oscar Wilde)

 

Punk rock & mobile homes
Derf Backderf – Ça et là

Blitzkrieg comix. Difficile de ne pas faire le lien avec Mon ami Dahmer dont la publication originale fut postérieure à celle-ci. Dans les deux cas, les protagonistes sont des lycéens vaguement livrés à  eux mêmes, puceaux concentrés sur leurs poussées d’hormones. Violence immanente et musique binaire. L’imprévisible Otto, “baron” autoproclamé, serait alors le versant positif de Dahmer. Quand l’un s’enfonce dans l’insociabilité, l’autre devient une figure populaire. Dédié à Joe Strummer, Punk rock est une bande dessinée joyeuse et mélancolique, générationnelle et référentielle, aussi un hommage à une salle de concert depuis longtemps disparue. Notons que l’auteur associe la lecture à une bande son très précise. Notons quelques fautes de goût, en toute impartialité. Hey ho, let’s go.

 

South central stories
Neyef – Ankama (Label 619)

Ghetto comics. Fabrication léchée, récit honorable dans le genre. Les codes sont respectés, les formulaires bien remplis. Ici : gangs, marcels, guns et chaînes en or. Alors oui, le genre. C’est le petit commerce du label 619. Mais à force de réchauffer l’exploitation (entendez l’exploitation de genres déjà exploités par les producteurs de cinéma aux États-Unis d’Amérique, deuxième moitié du XXe siècle), l’éditeur risque de la carboniser. C’est un peu comme pour les zombies : 2013 fut l’année des zombies. Tout le monde a fait des zombies. En livre, en film, en mug, en déguisement, en produit financier, en ce que vous voulez. L’abus de nausée gâche la nausée. D’accord : il n’y a pas franchement de zombie dans South central stories, mais je me comprends.

 

Lune l’envers
Blutch – Dargaud

Crise — artistique — de la quarantaine. Dans une science-fiction s’intéressant plus aux objets organiques et chauds, façon Cronenberg, qu’au futurisme gris métallisé servi habituellement, Blutch exprime les tiraillements de l’artiste désenchanté. Trois masques pour incarner des positions contradictoires ou complémentaires. Il y a d’abord l’homme mûr (Lantz), dessinateur reconnu, star inquiète et nombriliste que Blutch représente à son image, il y a ensuite celle dont il s’est peut-être trop éloigné (Liebling, la favorite), incarnation féminine indocile, rétive à la normalisation. Faisant le lien entre ces deux faces d’un même talent, un jeune arriviste joue des coudes dans le monde de l’édition (Blütch avec un tréma). Dessin au sommet, relevé par une colorisation impeccable d’Isabelle Merlet. En haut de la pile, donc.

 

Normal
Joann Sfar – Dargaud

“Après avoir inventé le dessin radiophonique, nous exécutons le dessin d’actualité”.

 

LAP !
Aurélia Aurita – Les Impressions nouvelles

Immergée dans le Lycée Autogéré de Paris pendant une année, Aurélia Aurita livre le premier de trois tomes envisagés “au croisement du reportage, de l’observation participante et de l’autobiographie”. Témoignage direct, retranscription de discussions et débats, mise en scène de son propre désir. L’absence de distance, le manque d’intérêt pour l’histoire du LAP — en tout cas dans ces pages — marquent le ratage, hélas, d’un projet alléchant. Pourquoi un tel lieu existe-t-il ? Quel est son rapport au système dominant ? S’inscrit-il en alternative, ou en simple complément de ce système ? Peu de réponses, aucune analyse. Quelle est la cartographie sociale des inscrits ? Aurélia Aurita s’attache à une dizaine de lycéens. Difficile pour le lecteur de ne pas généraliser la somme de ces cas particuliers à l’ensemble du lycée, et la perception du LAP en est forcément biaisée. Si la subjectivité n’est pas un problème, la difficulté de l’auteure à transmettre son amour revendiqué du lieu et des gens interroge. Fait-on un tel bouquin pour que la curiosité du lecteur s’étiole au fil des pages ? Peut-être cette déception est-elle relative au fantasme d’un ouvrage qui n’est pas celui-là, et qu’Aurélia Aurita n’a jamais eu l’intention d’écrire.

 

Max Winson
Jérémie Moreau – Delcourt

Pourrait s’inspirer de l’autobiographie d’André Agassi. Un jeune surdoué de la raquette trouve un nouvel entraîneur après l’accident cardiaque de son géniteur. L’intrus n’est pas plus fou que son père, juste plus excentrique. Max le fils de la gagne perdra-t-il enfin ? La réussite sportive a-t-elle à  voir avec l’accomplissement personnel ? Le sport en bande dessinée, ça ne marche pas tellement. Là oui, en jouant habilement du suspense qui caractérise certains matchs de tennis. En noir et blanc, sans grande promotion ni effet de manche : discret mais réussi.

 

Moi, Bouzard
Bouzard – Fluide glacial

Le travail de Bouzard tourne autour de trois thèmes : les super-héros à  la con, le foot et lui-même. On lui doit quelques joyaux de l’humour en bande dessinée, il a même donné une dimension shakespearienne à Ricou & Bigou, créations originales de Fred Andrieu et Pierre Druilhe. Bon. Faut bien avouer que ces derniers temps, il y a une baisse de régime. Megabras, c’était quand même pas terrible. Reprise laborieuse avec ce précis d’histoires et gags prépubliés dans Fluide glacial. Sa façon de surjouer le fanfaron, de déconnecter le texte et l’image (le texte explique combien lui Bouzard est bon, l’image montre combien il est mauvais) tient du système et finit par lasser. Forcément dommage parce que le grand Bouzard, c’est vraiment la crème.

 

Ragemoor
Jan Strnad & Richard Corben – Delirium

Terreur victorienne. Un château niché dans son écrin de nuages menaçants et d’abruptes falaises condamne celles et ceux qui s’y attardent. Un fou tente de contenir une immonde vermine en faisait subir d’odieuses mutations aux infortuné(e)s. Voyez, tous les qualificatifs y sont. Ne manque peut-être que le mot abomination, retenu par les établissements Lovecraft & Cthulhu®. Richard Corben s’est toujours distingué de ses collègues en comics d’horreur et fantasy par un trait dodu, charnel, à  la limite du grotesque. On a raconté plein de choses à son endroit. Dans les années 80, une rumeur courait chez les lecteurs de Métal Hurlant selon laquelle Corben vivait reclus, qu’il faisait passer des planches à son éditeur en les glissant sous la porte d’un bureau fermé à double tour. Puis on l’a oublié. Soudain il est toujours vivant et dessine encore, à bientôt 74 ans. Ce plaisant Ragemoor date de 2012, il pourrait très bien avoir été réalisé quatre décennies plus tôt. À la fois juvénile et poussiéreux, juste ce qu’il faut pour une bonne terreur victorienne des familles.

 

Superman n’est pas juif (…et moi un peu)
Jimmy Bermon et Émilie Boudet – La Boîte à  bulles

Oui ben moi aussi j’ai tué le père mais on s’en fout et j’en fais pas un bouquin, merci.

 

Kräkaendraggøn
Lewis Trondheim et Mathieu Sapin – Gallimard

Construire une histoire par addition de gags d’une page. Développer une idée très simple qui prend la réalité à rebrousse-poil. En l’occurrence : raconter ce que deviendrait le lycée si l’enseignement se concentrait sur les jeux (vidéo, de rôle etc.), en adaptant chaque matière aux pratiques que les enfants affectionnent, dans la vraie vie, pour se changer les idées après l’école. Bref, étendre à la contrainte le domaine du plaisir. Dans ce contexte, reprendre les ingrédients traditionnels, à commencer par le garçon timide qui finira contre toute attente à glisser sa langue dans la bouche d’une fille en devenant aussi un héros populaire. Lui adjoindre un faire-valoir comique. Faire graviter autour d’eux une bande d’antipathiques dont un fils de riche, des adultes dépassés sauf celui qui ne s’habille pas comme les autres. Aucun élément normatif des bandes dessinées / romans / films industriels pour ados et pré-ados ne doit manquer à l’appel. Même quand on est très malin comme Trondheim, il est difficile de parodier un dispositif intrinsèquement caricatural. Était-ce d’ailleurs son intention ? Servir comme à  la cantine ce produit insipide déjà goûté mille fois, y compris par les mômes auquel on le destine (quelques pages vraiment réussies ne relèvent pas le goût de la soupe).

 

Bonbons atomiques
Anthony Pastor – Actes sud / L’An 2

Une impressionnante quantité de stylos-bille dépensés à la réalisation de Ice cream et Hôtel Koral, des mois passés à hachurer ses cases et rendre un travail quasi photographique. L’époque est révolue. Le malheur (!?) d’Anthony Pastor, c’est qu’il est plein d’histoires. Ses bandes dessinées (précision : il écrit aussi des romans) se passent dans une Amérique de frontière dont on ne cite jamais le nom, à une époque pas très clairement définie. Anthony invente des personnages incarnés auxquels on s’attache immédiatement. Mais ses histoires imposent un rythme d’écriture qui s’accorde très mal au stylo-bille, le dessin s’est donc informatisé et tend, depuis Las Rosas, à une forme d’épure pour se livrer totalement au récit. Dans cet excellent deuxième épisode des aventures de Sally Salinger, où, comme d’habitude, le sexe réputé fort est à la peine, on explore le passé des habitants cabossés de Castilla Drive, avec en bruit de fond les crépitements radioactifs d’une centrale nucléaire abandonnée. Stupéfiant terrain de jeux, magnifique objet romanesque. Heureux celles et ceux qui ne connaissent pas encore l’œuvre d’Anthony Pastor. Prenez quelques heures, installez-vous dans un canapé, sous une couette, laissez-vous entraîner par ses faux polars vraiment humanistes. Il faudra lire celui-ci après Castilla drive pour en savourer tous les contours — mais ce n’est pas une obligation.

 

Une collision accidentelle sur le chemin de l’école peut-elle donner lieu à un baiser ?
Shintaro Kago – Imho

Sous un titre long des histoires courtes, par un spécialiste de l’ero guro : érotisme tendance nœud gordien, humour macabre et détraqué. Shintaro Kago joue avec son époque et les codes de la bande dessinée. Peu de transgression, mais une pointe de critique sociale. Surtout, un délire permanent dont l’outrance est renforcée par un dessin d’une grande précision. Bric-à-brac de récits malmenant les corps pour faire rire. S’il ne fallait en citer qu’un : une jeune femme devient le réceptacle des maux dentaires de ceux qui l’embrassent, puis les caries se livrent à  une guerre nucléaire dans sa bouche — champignon atomique à la clef. Inégal, c’est la loi du genre, mais globalement très réjouissant.

 

Des-agréments d’un Voyage d’agrément
Gustave Doré – 2024

De la “littérature en estampes” au “roman graphique”. Au milieu du XIXe, un jeune type qui, plus tard, deviendra célèbre pour ses illustrations des œuvres de la Fontaine ou Rabelais, se frotte à un mode d’expression dont les bases théoriques viennent à peine d’être déployées par Rodolphe Töpffer. Ici, il réalise une satire de la petite bourgeoisie, dessinant les tribulations d’un couple de commerçants en quête de grand air dans les montagnes suisses. Le résultat reste, 160 plus tard, d’une incroyable modernité : les auteurs du XXe siècle n’auront pas à inventer grand-chose. Il caractérise son personnage avec une casquette à la visière démesurée qu’on croirait sortie des Lascars, le rendant ainsi immédiatement identifiable. Il utilise le running gag, intervient physiquement dans la narration, insère les pseudo-commentaires de son éditeur, met le contexte en abyme (on voit le museau d’une vache au dessus d’une page en cours de réalisation). Il s’amuse de contraintes que personne ne lui a imposées, alors que le cadre de cet art naissant est encore très loin d’être rigidifié par la “BD franco-belge” : ainsi ces trois pages où l’on suit la progression du héros selon la vue subjective de son épouse, qui observe le cortège d’alpinistes s’attaquant à un sommet enneigé. Seule fois où les dessins sont bornés par des cercles évoquant la lorgnette, mais on ne voit personne à travers, l’avancée ne s’évalue qu’au regard des traces laissées sous différentes formes par les randonneurs. Les éditions 2024 réalisent une fois de plus un livre superbe, le prochain le sera tout autant : l’ Histoire pittoresque, dramatique et caricaturale de la Sainte Russie est déjà prêt. Il s’agit de la bande dessinée la plus célèbre, aussi la dernière du génie strasbourgeois. En 1854, à 22 ans, Gustave Doré abandonne définitivement la littérature en estampes pour se consacrer à l’illustration des classiques. Cela dit, si on aime les casquettes, on peut aussi lire l’Agent 212.

 

Docteur Radar
Bézian & Simsolo – Glénat

Paris 1920, Fantômas revisité. Rien ne manque, ni les déguisements ni les Apaches, ni Juve ni Fandor qui ne s’appellent pas comme ça puisqu’on n’est pas chez Marcel Allain. Des savants sont assassinés en série. S’emparant de l’enquête, un gentleman détective suit rapidement les traces du très méchant docteur Radar. Si le dessin et la mise en scène sont impeccables, pourquoi cette sensation en demi-teinte quand on referme les ouvrages de Bézian, pourtant attendus avec gourmandise ? Quelque chose manque, l’ingrédient qui permettrait d’enthousiasmer la lecture, de la dynamiser vraiment. En l’occurrence, Simsolo a du mal à transcender l’hommage et bâtir un vrai scénario. La conclusion est à demi-ouverte, l’album à demi-convaincant. Le mystère s’épaissit autour de cette demi-déception quasi systématique. La solution viendra peut-être avec le prochain album, attendons-le avec gourmandise.

 

Le Journal directeur
Etienne Lécroart / Lewis Trondheim / Baladi / Jochen Gerner / Matt Maden – L’Association

L’Oubapo revient. Deux ouvrages d’un coup sous la baguette du Commandeur Étienne Lécroart : ce journal directeur et Son Lapin. Pour Mon Lapin, — revue historique de l’Association qui, dans son nouvel avatar, se voit attribuer un rédac’ chef différent à chaque numéro –, les auteurs sont invités à respecter le cadre formel d’une planche dont ils découvriront a posteriori qu’elle était de Reiser. Pour Le Journal directeur la contrainte est plus forte, imposant d’utiliser l’iconographie d’un numéro de Libération en respectant différents paramètres. Les auteurs impliqués ne doivent pas se contenter d’aligner les images, il leur faut travailler l’enchaînement et la succession, créer une structure narrative cohérente, précision importante pour celles et ceux qui ignoreraient encore les travaux de l’ Ouvroir de bande dessinée potentielle. Ils sont cinq à l’exercice : Lécroart lui-même, très politique et virulent, parfait, tout comme Matt Maden est convaincant dans son clin d’œil au Roi et l’oiseau. Gerner pétrifie l’actualité, Baladi interroge le rapport entre liberté et célébrité. Trondheim rend la partition la moins intéressante de la série.

 

École de la misère
Yvan Alagbé – FRMK

Un couple meurt. Pourquoi deux vieux meurent-ils en même temps ? Suicide ? Plutôt un problème domestique, une fuite de gaz, quelque chose comme ça. Peu importe. Couchés côte à côte en attendant le cercueil, papi et mamie rappellent les souvenirs et les secrets de famille. Pas ou peu de déballage autour d’eux, tout le monde sait à  quoi s’en tenir. Une jeune femme reste à l’écart. Claire se serait passée de revenir ici, jadis rejetée parce qu’elle racontait des bêtises aux grands, comme quoi son père la tripotait le soir après s’être émoustillé devant des films de cul, n’importe quoi. Ou alors c’était de sa faute, petite aguicheuse. Rejetée plus tard quand il fut avéré qu’elle aimait trop les bamboulas, vous voyez, on n’en veut pas chez nous. Déjà que les vieux, là, faisaient dans le bordel de seconde zone en logeant des filles pour éponger la chair ouvrière des anciennes colonies, ça va comme ça !
Pierres angulaires d’une vie mal construite, images anciennes qui jaillissent à l’occasion de la réunion de famille. Cette lecture âpre, disons-le, nécessite qu’on y revienne afin de bien saisir les va et vient temporels, toutes les subtilités d’un pinceau dessinant librement une œuvre radicale et complexe.

 

Trois fils
Ludovic Debeurme – Cornélius

Ne vous fiez pas aux couleurs acidulées qui tranchent avec le gris auquel Ludovic Debeurme nous avait habitués. Les friandises sont amères, les corps tourmentés. Trois fils en veulent à  leur père au point de vouloir le tuer. Ils ont fui avec lui une contrée inhospitalière pour en trouver une autre, pas forcément plus accueillante. Il a fallu se cacher, se nourrir. Échos de faits qui ne se lassent pas. Deux tomes à  suivre, par un artiste majeur.

 

Pelote dans la fumée T1, été-automne
Miroslav Sekulic – Actes Sud BD

Un auteur sorti de nulle part. Enfin si : de cette Croatie qu’il raconte. Des enfants entre bidonville, rue et foyer, la misère plantée dans un décor de fausse station balnéaire, cheminées d’usines en perspective. Comédie humaine qui évoque le néoréalisme italien — voisinage oblige — avec la couleur et cinquante ans de plus. On pourrait citer Jérome Bosch et le naturalisme, chercher d’autres références pour se raccrocher à quelque chose de connu et vérifier la maxime selon laquelle personne ne sort jamais de nulle part. À quoi bon : laissez-vous porter, entrez simplement et prenez la claque de l’hiver.

 

Quatre soeurs T2, Hortense
Cati Baur d’après Malika Ferdjoukh – Rue de Sèvres

Non lu, à cause de la conjonctivite. Un livre parmi tant d’autres dont le texte a été tapé au clavier puis placé dans les bulles par la grâce de la numérisation. Au forceps, sans goût, sans discernement. Le dessin aérien de Cati Baur et ses bulles chaloupées ne méritaient pas d’être plombés à ce point par des caractères trop bien alignés. Lettreur manuel, voilà un métier presque disparu. Les éditeurs préfèrent foutre leur pognon ailleurs — quand ils en ont. D’ailleurs, le pognon n’est pas le critère. On connaît des éditeurs crevant la dalle qui ne toléreraient pas un tel gâchis. Parce que “le lettrage mécanique, utilisé sans précaution et sans finesse, écrase cette temporalité subtile, qui révèle la solidarité du texte et de l’image dans la bande dessinée” comme l’explique joliment un article consacré au problème. Oui mais on trouve plein de polices gratuites sur la toile, ce serait dommage de ne pas en profiter. Le progrès technologique, ça permet aussi de bien saloper le travail.

 

L’été des Bagnold
Joff Winterhart – Ça et là

En couverture, deux silhouettes se découpent sur un fond vert-camouflage qui rend le bouquin presque invisible, c’est bien dommage. D’un côté, un ado voûté et ténébreux, fan de métal parce qu’il faut bien se trouver une position sociale. De l’autre sa maman, les bras chargés de commissions, qui jette un œil à sa progéniture restée en arrière. Les ados n’aiment pas être vus en présence de leur maman, la honte. Elle a été abandonnée par le père il y a de nombreuses années et ne se résigne ni à la solitude affective ni au conflit de générations. À chacun son mal-être, sa difficulté d’exister dans le regard de l’autre. Situations rebattues mais traitées avec tendresse, subtilité et humour.

 

Rocky et Hudson, les cowboys gays
Adao Iturrusgarai – Diábolo

Au Far West, personne n’est vraiment hétérosexuel convaincu. Dans la lessiveuse, les clichés usuels sur l’homosexualité, aussi l’ostracisme réduisant l’homosexualité à quelques clichés. Programme court (strips de trois cases), température élevée, un sens du rythme assez phénoménal. Efficace et drôle, une pépite dans le catalogue éditorial de Diábolo qui jusque-là ne faisait pas franchement envie.

 

Le livre de Léviathan
Peter Blegvad – L’Apocalypse

Publier Le livre de Léviathan quand on a choisi l’Apocalypse comme nom d’éditeur, ça tient presque de l’obligation. Léviathan : monstre cataclysmique révélateur de la fin des temps. Ce Léviathan-là  n’a pourtant rien d’eschatologique, un bébé en grenouillère, étrange petit bonhomme armé tout autant d’ingénuité que de sagesse, cherchant à dominer ses peurs primales et décrypter le monde qui l’entoure. Léviathan n’a pas besoin de bouche puisqu’il utilise des phylactères pour dialoguer avec l’auteur, se faire comprendre du lecteur et du félin qui le chaperonne. Léviathan n’a pas besoin d’yeux, il voit à travers les vôtres. Un bébé sans visage, des strips parus dans The Independent tout au long des années 90. Son ami le chat tempère ses ardeurs quand il voudrait s’évader de la page : “le passage physique est hors de question, Lévi… Mais le passage métaphysique, dans les rêves, ça c’est possible si le lecteur accepte de coopérer”. L’ordinaire de l’Apocalypse consiste à éditer des livres sortant de l’ordinaire.

 

Y-front mouse
Takayo Akiyama – Misma

Les désolantes aventures d’une souris jadis star du rock, désormais semi-clocharde fantasmant sa gloire passée avec son ancien manager Bad Tooth (une molaire qui a elle aussi perdu sa couronne en or). Ses multiples tentatives pour sortir de la fange restent vouées à l’échec. C’est n’importe quoi sur les bords mais au milieu on a déjà tout vu, feux de la rampe et ailes qui brûlent. Sympathiquement anecdotique.