Né à La Crau, Serge Quadruppani milite très tôt contre la société capitaliste et ses travers. Ses engagements se révèlent à travers les essais et romans qu’il publie depuis le début des années quatre-vingt-dix. Il traduit également des auteurs anglais et italiens, Stephen King, Valerio Evangelisti, Marcello Fois, Francesco de Filippo, ainsi que les polars de Giancarlo de Cataldo (Romanzo criminale) et du bien nommé “Maestro” de Saturne : Andrea Camilleri.
La Politique de la peur (essai) – Seuil, 2011.
Nous faisons tous l’objet de manipulations, par instrumentalisation du sentiment de peur dont usent et abusent les politiques au sens large et leurs sbires les média, dans notre société capitaliste, consumériste, avide d’images et d’instantanéité. Et ce dans le but de mieux nous cadrer. On construit de multiples ennemis : l’étranger pauvre, le jeune, le marginal sous toutes ses formes. Toute manifestation de désobéissance, de mécontentement, même sans mort — comme à Tarnac — est largement susceptible d’être classée au rang de terrorisme, et ses auteurs d’être incarcérés sans autre forme de procès — pensons à Cesare Battisti. Et pour peu que l’on soit originaire du Maghreb, musulman ou pas bien blanc, il est tôt fait d’être assimilé à Al-Qaïda. En France, en Italie, au Maghreb, aux États-Unis et ailleurs, la liberté de parole et de conscience est affaiblie et les citoyens sont ainsi rendus plus vulnérables, enclins à accepter les privatisations en masse, les surveillance et le fichage omniprésents, presque automatiques.
Les romans de Serge Quadruppani résonnent comme autant de mises en pratique fictionnelles de la théorie de l’essai, où le poids des mots est aussi fort que la violence décrite.
Colchiques dans les prés (roman) – Actes sud, 2009.
Marie, Simon, Michel et Bruno, quatre jeunes amis anarchistes dans les années 70 braquent un hôpital psychiatrique. Simon, persuadé que les munitions ne sont que des bouchons en liège, comme convenu, presse la détente de son arme et tue le directeur bon père de famille. C’est le début de la cavale et seul ce coupable est retrouvé, arrêté et jugé. Malgré les fortes pressions dont il fait l’objet, il ne livre pas ses amis et est condamné à vingt de prison. En 1992, il est libéré. Entre les quartiers chics du Mont des Oiseaux et de Costebelle à Hyères, et Toulon, à une époque ou fleurit sur la Côte le grand banditisme, l’ancien détenu marqué à vie a beaucoup de choses à éclaircir et de comptes à régler avec ses anciens camarades qui ne l’ont plus jamais contacté malgré la prescription. Il va mener son enquête, se rapprocher de Nausicaa, la fille de Marie, mais rien n’est simple. Les mafieux varois, ex-taulards, hommes d’affaires et avocats mêlent complots, argent sale et prétendue sécurité. Les militants de l’anarchisme d’un jour peuvent aussi avoir des goûts de confort et de luxe plus tard. Mais une fois pris dans le filet, il est presque impossible d’en réchapper et d’en sortir indemne.
Les enquêtes de la commissaire Simona Tavianello (romans) – Le Masque, 2010-2012.
Commissaire italienne anti-mafia, Simona Tavianello est une femme intelligente à l’esprit libre, loin des canons esthétiques des magazines pour midinettes. Ses enquêtes dénoncent la corruption des États et des groupes puissants qui les influencent. Les êtres et les affaires sont complexes, l’issue ne laisse jamais indifférent.
Au début de Saturne, quatre voitures convergent vers les thermes toscans de Saturnia, un week-end de Juin : un tueur, une famille et deux couples d’amants. Trois femmes sont abattues par un tireur qui tue aussi un ami de Simona Tavianello. Mais ce coupable n’est que le bout de la chaîne, l’exécutant qui obéit aux ordres d’un patron appartenant lui aussi à un système de réseaux complexe, le tout sur fond de crise des subprimes. La résolution n’apparaît pas clairement mais révèle des complots profonds.
La Disparition soudaine des ouvrières mêle écriture policière et documentaire animalier pour mieux s’attaquer à la politique tortueuse de l’Italie, corrompue jusque dans sa protection de l’environnement — bafouée au profit de l’industrie de l’agroalimentaire. Le roman traite aussi de la manipulation de la presse dans une enquête où fuite des abeilles et meurtre d’un industriel ne sont pas sans lien.
La dernière investigation de Simona Tavianello, Madame Courage, intervient alors que la célèbre commissaire et son mari sont en vacances à Paris et mangent dans un restaurant oriental de la capitale. Un des clients de l’établissement a la surprise de découvrir une main humaine dans sa semoule. Dans un rythme soutenu, ce sont trois univers et cultures qui se chevauchent et s’entremêlent, avec un Maghreb qui émerge tout juste du printemps arabe. La corruption de l’État et des grands patrons s’inscrit cette fois dans une affaire de drogue.
J’ai jeté mon portable (roman jeunesse) – Syros, collection Rat noir, 2007.
Un lycéen en ZEP visionne avec d’autres élèves une vidéo internet sur un téléphone. La violence des images est telle qu’il se sent perdu, étranger à la foule, il fuit alors le lycée et la société. Il aborde la vie marginale de personnages sans domicile fixe, doit fuir la police suite à un mauvais souvenir, et se retrouve finalement logé chez une dame élevant tendrement des rottweilers rescapés. Les jours se suivent et le garçon a du mal à se confier et à révéler ce qu’il a vu sur ce portable, et ce qu’il a éprouvé réellement, tant l’ambivalence des sentiments peut être forte. Ainsi faut-il envisager le titre comme un refus de cette société où la violence s’infiltre partout et se démocratise (pour les ados à partir de 14 ans).
Il y a quelqu’un dans la maison (roman jeunesse) – Syros, collection Souris noire, 2005.
Un bon élève de 12 ans chargé de tenir la maison et de s’occuper de ses petits frère et sœur une nuit que leur mère est partie travailler, vit une aventure plutôt extraordinaire avec l’évadé d’un hôpital psychiatrique. Serge Quadruppani reprend les thèmes qui lui sont chers et réussit à les rendre accessibles aux collégiens destinataires de l’ouvrage. Un récit haletant où le lecteur ne cesse d’être en tension.