Donner un avis circonstancié, radical et raccourci, sur des ouvrages que leurs auteurs ont parfois mis plusieurs années à réaliser en pleurant des larmes de sang. Les prétentieux qui se livrent à cette déplorable activité se voyaient eux-mêmes en artistes et ont connu l’échec, ils en sont désormais réduits à déporter leur médiocrité sur les autres (qui ne leur ont rien fait).

 

Les aventures de Huckleberry Finn

Lorenzo Mattotti et Antonio Tettamanti, d’après Mark Twain – Gallimard

Pas franchement une nouveauté puisque cette adaptation date de 1978, la mise en couleurs récente de Céline Puthier sublime néanmoins les dessins du jeune Mattotti. Belle réalisation pour un classique moderne dont le héros n’est pas Finn, ni Jim, esclave en fuite et compagnon de route, mais le Mississippi dont le cours n’échappe à aucune page. “Rollin’ rollin’ rollin’, down the river rollin'”.

 

Chasseurs de ptérodactyles
Brendan Leach – Ça et là

Pourquoi une bande dessinée cartonnée tout ce qu’il y a de plus basique, comportant 20 feuillets N&B (enfin pas exactement, car le gris est une couleur), imprimée à Singapour sans fioriture aucune, devrait-elle coûter 17 euros ? Au début du vingtième siècle, dans un New-York répondant au Paris d’Adèle Blanc-Sec, des hommes en dirigeable chassent les ptérodactyles qui terrorisent la ville. La publication originelle, format tabloïd sur papier journal, rendait hommage au feuilleton et une certaine forme de presse. L’édition française chasse tout le sel du projet en le prenant à rebours. Un parfait et incompréhensible ratage.

 

Tu mourras moins bête (mais tu mourras quand même)
Marion Montagne – Ankama

Substance de blog consacré à  l’éducation populaire. Le dessin jeté de Marion Montaigne est très efficace pour explorer avec dynamisme, pertinence et drôlerie des sujets aussi passionnants que : à quand le sabre laser ? Pourquoi n’arrive-t-on pas à creuser un trou jusqu’au centre de la terre ? Que faire des cadavres dans l’espace ? Comment hiberner sans choper des escarres ? Peut on tirer avec un fusil à pompe comme Arnold schwarzenegger, en le tenant au niveau de la taille ? Personnage central de ces notules, la professeure Moustache démonte tous les excès dont se régalent les séries télévisées et les blockbusters. Hautement conseillé, pour celles et ceux qui veulent savoir.

 

La fille perverse
Junji Ito – Tonkam

Petite anthologie de récits courts dont aucun n’atteindra la puissance horrifique de Spirale, le chef d’œuvre de Ito. Plutôt des mises en bouches, sages histoires de fantômes et de manipulations un peu tirées par les cheveux (parce qu’il faut que la chute soit spectaculaire). Quoi qu’il en soit, on ne lit jamais Ito avec déplaisir.

 

Portugal
Cyril Pedrosa – Dupuis

Perdant sa compagne et la dernière lettre de son nom, Simon Muchat tente de retrouver ses racines. Trois générations et un questionnement identitaire, trois hommes rétifs aux choix. Même pour l’aïeul qui négligea d’assumer sa mission d’aîné de la famille, le fait de rester en France ressemble plus à un renoncement velléitaire qu’à une véritable stratégie. Narration fluide et partis pris graphiques intéressants, qui rendent légère la lecture de ces 360 pages, pour peu qu’on aime l’introspectif.

 

Barcazza
Francesco Cattani – Atrabile

Huis clôt familial et sensuel. Quelques jours de chaleur, farniente et baignade dans une villa encaissée entre mer et falaise, corps chichement vêtus, promiscuité, tiraillements de couple, fantasmes adolescents… traités avec délicatesse et sobriété. N&B pas très éloigné de celui de Ruppert et Mulot dont Canicola, l’éditeur italien de Barcazza, a adapté l’ Irène et les clochards. Une histoire de famille.

 

Le livre des monstres
Alberto Alto – Bang ediciones

Cinq contes cruels où il est question d’enfance et de tyrannie domestique. Sur chaque page, une vignette sous-titrée. Le dessin aérien et l’architecture naïve s’opposent à  la dureté du propos. D’autres se sont essayés à l’exercice du cauchemar enfantin, à l’association maltraitance / fantasmagorie, on pense à  Mon placard de Stéphane Blanquet par exemple, mais le style organique de ce dernier porte en lui la perspective de l’horreur. Dans Le livre des monstres on est très loin de cet univers graphique. Le trouble est grand, la marque du livre rouge sur ta joue.

 

Des salopes et des anges
Tonino Benacquista et Florence Cestac – Dargaud

Fantaisie didactique sur la dépénalisation de l’avortement. L’action se passe en 1973, deux ans après que “343 salopes” ont signé leur manifeste et deux ans ans avant que l’Assemblée nationale ne vote enfin, dans la souffrance, la loi portée par Simone Veil. Trois jeunes femmes vont se faire avorter en Angleterre. Archétypes : la naïve, la grande-bourgeoise, la militante. Cet aller-retour en bus scellera leur amitié. Éminemment sympathique, se lit très vite. Trop ?

 

Le carnet de Roger
Florent Silloray – Sarbacane

À la mort de son grand-père, Florent Silloray découvre le journal qu’il a tenu entre 1939 et 1941, couvrant la mobilisation, la rapide déconfiture de l’armée française, l’emprisonnement dans un stalag et le travail forcé. Roger a vécu l’essentiel de la deuxième guerre mondiale derrière des barbelés, son petit-fils en fera une bande dessinée. Puisque la référence au travail d’Emmanuel Guibert et de sa guerre d’Alan semble inévitable, soulignons la différence essentielle entre les deux approches. L’une est basée sur l’échange oral entre l’auteur et le vieux conscrit américain, l’autre sur l’écrit avec une absence de dialogue qui impose l’enquête. Le carnet de Roger met en images les épisodes consignés par le prisonnier de guerre, ainsi que les recherches du dessinateur pour donner une cohérence visuelle à son adaptation. Belles rencontres, témoignage rare.

 

Everything we miss
Luke Pearson – Nobrow press

Un homme et une femme se séparent. Tout ce qui nous manque, tout ce que nous manquons, certaines retrouvailles, certains rendez-vous, tout ce que nous ratons, certaines vies de couple, tout ce qui nous échappe, les arbres qui dansent dans la nuit, notre ombre qui parfois cesse de nous suivre, un courriel perdu dans le dossier des indésirables, et les anurides, “grands observateurs de l’espèce humaine” qui écoutent sans juger ni consoler, se débrouillant toujours pour fuir notre champ de vision malgré leur omniprésence. Une franche réussite que ce petit livre poétique et triste : à  ne pas manquer (en anglais).

 

Ara T1, le cercle de pierre
Tim Mc Burne – Ankama

Fantasy héroïque et sylvestre de bonne tenue. Si vous aimez le genre, pourquoi pas.

 

Villain, l’homme qui tua Jaurès
Daniel Casenave et Frédéric Chef – Altercomics

Racontée par un ange, la vie lamentable d’un personnage navrant. Sujet original, traité avec ironie et distance, ce qu’il faut pour faire passer la pilule.

 

Fratelli
Alessandro Tota – Cornélius

Deux frangins dont les journées s’articulent autour de l’ennui et de l’embrouille à deux balles, encore jeune et plutôt idiots, pas suffisamment néanmoins pour croire en l’avenir. Néo-réalisme à l’italienne, le retour.

 

Au pays de la mémoire blanche
Carl Norac et Stéphane Poulin – Sarbacane / Amnesty international

Un type se réveille sur un lit d’hôpital, amnésique et bandé comme une momie. Il vient d’échapper à un attentat dans un bus. C’est un monde où des hommes à  tête de chien maltraitent des hommes à tête de chat accusés de tous les maux. Parallèle facile avec certaines sociétés modernes qui dressent des murs pour isoler les uns des autres. Livre à message coédité par Amnesty international, avec des images qui plairont certainement aux amateurs de Shaun Tan. Dommage que l’intrigue soit tissée (bandée, ah ah), de fil blanc. On sait immédiatement de quel côté se trouve le héros, ne serait-ce que parce qu’il apparaît sur la couverture comme un Blacksad couvert de pansements. Alors pourquoi organiser la montée dramatique comme si la révélation de sa nature était la clef de l’ouvrage ?