Les passionnés de l’Histoire d’Angleterre ou de la Guerre de Cent Ans connaissent certainement le Prince Noir, fils d’Édouard III. Voici un récit proche du conte, dont l’héroïne est l’une des jeunes sœurs de ce prince, que l’Histoire oublie volontiers : Joan de la Tour de Londres.

Ce roman s’ancre dans un contexte bien particulier : nous sommes au XIVe siècle, au début de la Guerre de Cent Ans, dans un Bordeaux anglais ravagé par la peste. La narration à double voix oscille entre deux situations complètement différentes : celle de Ben, apprenti forgeron bordelais qui se retrouve seul dans cet univers de désolation où la mort est omniprésente, et celle de Joan de la Tour qui, dans son périple maritime pour rejoindre la Castille et y épouser l’héritier du trône, doit faire escale à Bordeaux. La rencontre fortuite des deux jeunes gens de rang et d’origine opposés unifie la voix d’énonciation, tandis qu’autour d’eux le monde médiéval est mis à mal et se disloque. La situation géographique d’enclave anglaise dans un territoire français se prête bien à la sensation de trouble et de tension dans ce monde de conflits politiques mais aussi personnels et moraux.

En effet le jeune Ben, dans une course à la vie, va mettre à  jour les mystères familiaux : s’il est le voleur de cerises, et si son maître est sans pitié envers lui, ce n’est pas sans raison. De son côté, Joan ressent ce départ pour une nouvelle vie dans une nouvelle nation dont elle ignore tout et notamment la langue, comme un arrachement profond. Le contexte troublé dépeint par un vocabulaire approprié et avec une étonnante précision, et l’énonciation à  double voix rendent difficile l’immersion dans le roman. Mais une fois passé le cap des tout premiers chapitres qui posent les jalons d’une architecture élaborée, toute l’intensité et toute la portée de l’œuvre se révèlent. Chaque passage est une plongée directe dans le temps. La moiteur de l’atmosphère, le doute et même l’angoisse de chacun s’offrent à nous, tant l’écriture de l’auteur est précise et sublime, et nous donne à voir un Moyen âge loin de celui dont ont rêvé les romantiques. Cecil Degroët prend néanmoins des libertés avec la vérité mais les explique en fin d’ouvrage. Il va sans dire que cette honnêteté intellectuelle lui donne un bon point supplémentaire !

Cette œuvre qui finalement dépasse l’Histoire érige au rang de légende une nouvelle jeune femme médiévale : la France a sa Jeanne d’Arc, l’Espagne son Inès de Castro ; désormais, l’Angleterre a sa Joan de la Tour. Le Voleur de cerises est un superbe ouvrage mêlant aventures, Histoire et amour idéal.

À mettre entre toutes les bonnes mains.

Diana

The book edition, 13€