Une saison sans eau comme la boucherie des Dupondt, ah ah. Heu. La chaleur, l’accablement, les cigales, la tonnelle, la flemme, la sieste. Quelle horreur. Vivement la rentrée. [Maj sept. : ça y est, c’est pas trop tôt].

 

Business is business
Lindingre et Julien/cdm – Drugstore

Cinq ans de mandat Sarkozy réinterprétés en bandes dessinées. Poilant. Désespéré. Désespoilant.

 

Mimi Stinguette
Myriam Rak – La Boîte à bulles

Bouse ultime en matière de production “girlie”. Moche jusque dans le choix de la police de caractères, d’une bêtise abyssale. Le plus affligeant dans cette histoire n’est pas tant qu’une jeune femme se complaise dans l’indigence mentale, à caricaturer sans humour ce qu’elle croît être sa condition féminine, mais qu’un éditeur flairant le bon coup trouve opportun de la publier. Cela rappelle, s’il en était besoin, que le cynisme et le manque de discernement artistique ne sont pas l’apanage des gros éditeurs industriels.

 

En mer
Drew Weing – Ça et là

Un poète à physique de déménageur traîne dans les bars du port à la recherche de sa muse. Enrôlé à son corps défendant sur le pont d’un fameux trois-mâts, il y trouvera une vocation, et son inspiration. Charmant petit livre.

 

La rupture tranquille
Terreur graphique – Même pas mal

Oui, on peut rire de la zoophilie et des massacres domestiques. Heureusement que Terreur graphique ne s’est pas tout à fait remis des tests de Rorschach qu’il a subis étant plus jeune. Aujourd’hui, il pourrait aimer les gens et ce serait moins drôle pour ses lecteurs. Après Goupil acnéique et Abraham Kadabra (Paf et Hencule) et aussi les frères Guedin (Luv story), les éditions Même pas mal confirment leur goût pour les grands humanistes. On ne peut qu’applaudir !

 

Rex Mundi
Scénario de Arvid Nelson – Milady graphics

L’action se passe dans les années 30, pas tout à fait celles que le monde a connues : le roi gouverne encore la France sous l’œil attentif de l’Église, le duc de Lorraine complote pour provoquer une guerre mondiale et récupérer le trône. On trouvera dans Rex Mundi de l’inquisition, des signes cabalistiques, des formules magiques, du golem, du Graal, des templiers, des cathares, un masque de fer, Rennes-le-Château, tout un charabia ésotéro-historique. Le scénariste s’amuse à tisser des liens entre les mystères célèbres qui alimentent les fantasmes des grands enfants. Sa délicatesse est de déplacer le matériel dans une uchronie : ceci est bien une fiction, les gars, n’allez pas chercher une part de vérité dans ce que je raconte. Cela dit, gardons à l’esprit qu’on nous cache tout, qu’on ne nous dit rien et que la vérité est ailleurs. Cette épopée (six volumes prévus, quatre publiés à ce jour) plaira aux garçons qui ont dévoré Au cœur de l’empire, de Bryan Talbot. Elle plaira surtout à ceux qui considèrent que Dan Brown, dans Da Vinci code, n’a pas tout dit.

 

Octobre noir
Daeninckx & Mako – Ad Libris

Fiction s’inscrivant dans un contexte dramatique vieux d’un demi-siècle, pour lequel la France n’a toujours pas engagé de processus mémoriel. Maurice Papon est Préfet de police à Paris et en Algérie, la guerre pour l’indépendance touche à son terme. Le 17 octobre, la branche parisienne du FLN organise une manifestation contre le couvre-feu dont les populations immigrées sont la cible. Répression policière sévère et meurtrière. La petite histoire d’Octobre noir, qui décrit les événements du point de vue d’un jeune chanteur hésitant entre le Golf Drouot et les revendications de ses proches, rejoint la grande. De format et dessin très classiques, Octobre noir envoie un message efficace, l’intrigue est linéaire, courte, la personnalité des protagonistes taillée à la serpe. Les Français “de souche” resteront odieux jusque dans leur machisme ordinaire. Livre à intention donc, dont l’objet est de mettre à jour des faits boudés par les médias à la veille de leur cinquantième anniversaire. Mais l’intention, aussi louable soit-elle, ne fait pas forcément le bon livre. La préface de Benjamin Stora et les annexes (compléments de Daeninckx, liste des victimes de la répression et des ratonnades) l’installent définitivement dans un rôle pédagogique et militant. Utile.

 

Les meilleurs ennemis
Jean-Pierre Filiu & David B – Futuropolis

Panorama des relations parfois diplomatiques, toujours tumultueuses, que les États unis ont développé depuis le XVIIIe avec des pays du Moyen Orient à la définition et aux frontières fluctuantes. Le livre est structuré en quatre parties. Après une introduction alléchante et maligne, où le mythe de Gilgamesh est réinterprété via les propos va-t-en guerre de George Bush et Donald Rumsfeld à la veille de l’envahissement de l’Irak, les pages qui décrivent les frictions avec l’empire ottoman s’enfoncent dans la confusion narrative. Va et vient chronologique n’aidant pas le lecteur, surréalisme de David B. virant aux tics, comme s’il n’arrivait pas à émerger du pétrin où Jean-Pierre Filiu l’enfonce (abus de visages-canons, moustaches-épées et turbans-mondes). La narration piétine. Heureusement la dernière partie, qui raconte comment les USA s’approprièrent l’Iran dans les années cinquante, est en tout point passionnante. David B. retrouve son inventivité et livre des pages magnifiquement déprimantes, le sort graphique réservé au seul héros positif de cette histoire, le premier ministre du Shah Mohammad Mossadegh, accentuant la puissance narquoise du discours. Puissant, donc.

 

Frangins
Max de Radigues – Sarbacane

Deux adolescents quasiment frères vivent une aventure qui les rapprochera : un peu plus frangins à la fin qu’au début. Livre délicat et gentil — ce n’est pas un gros mot — qu’on a envie de conseiller, mais dont on ignore à qui il s’adresse vraiment. Peu importe ?

 

Tônoharu
Lars Martinson – Le Lézard noir

Un expatrié américain tente de s’adapter à la vie provinciale japonaise. Fréquenter d’autres expatriés n’est peut-être pas la meilleure voie. De l’incommunicabilité entre les êtres. Joli bouquin tristoune.

 

Le curé
Christian de Metter et Laurent Lacoste – Casterman

Hommage appuyé à Boileau-Narcejac et à la série noire de Gallimard. Parfaitement maîtrisé du point de vue graphique. Le scénario est léger, un poil incohérent.

 

Alice au pays du sexe
Anne Baraou et Adrienne Barman – La Cafetière

Le sexe est partout, essayons de comprendre. Anne Baraou a beaucoup lu : Michel Foucault, Gilles Deleuze, Catherine Breillat, Elle… Une jeune helvète fraîchement débarquée à Paris s’immerge en tout bien tout honneur dans les obsessions de ses collègues de bureau qui ne parlent que de la chose et, accessoirement, la font. Les réflexions ne sont pas inintéressantes mais au final, il n’y a pas grand chose à retenir qu’un adulte de l’époque ne sache déjà. Malgré les citations et références, Baraou conserve une distance qui affaiblit la portée analytique de l’ensemble. Elle tient aussi éloigné tout jugement à l’emporte pièce, ce qui est louable. Mais on conclut cette agréable lecture (le trait d’Adrienne Barman colle parfaitement au propos) sur un point d’interrogation : pourquoi faire ?

 

Le quartier des marchands de beauté
Ben Katchor – Rackham

Photographe en immobilier, Julius Knipl habite Rossel avenue juste au dessus du Parnassian coffee shop, restaurant que d’aucun juge infect mais lui s’en fiche car y mange très peu, une fois par siècle environ. Julius arpente les rues de la grande ville, américaine à coup sûr bien qu’on ne puisse pas vraiment la situer, observe et dialogue, péripatétise, appuyé dans ses réflexions par une voix off qui pourrait être la sienne. Avec sa galerie de métiers improbables, d’administrations chancelantes, d’immeubles coincés, Ben Katchor concentre l’absurdité d’une certaine condition urbaine tout comme les parfumeurs de la société Normalcy extraient “l’essence des choses sans les désagréments associés” : la moelle de la réalité. En 1950, Julius Knipl n’était encore “qu’un éclair d’électricité statique sur la gaine synthétique de sa mère”. Un demi siècle plus tard, il porte une fine moustache à la Don Diego de la Vega et un chapeau mou au charme désuet. Tous les personnages sont poussiéreux, l’art de Katchor faussement daté, pour rendre la nostalgie d’une époque qui n’a jamais existé. Le Quartier des marchands de beauté est un livre à l’intelligence profonde et l’humour subtil, sur lequel on reviendra encore et encore, avant de le glisser avec tendresse dans sa bibliothèque comme on conserve les flacons des meilleurs parfums.

 

Caktus T1, le masque de vert
Nicolas Pothier et Johan Pilet – Glénat

Produit de grande consommation formaté à l’ancienne, 48 pages couleurs, héros positifs et masculins, graphisme laborieux très inspiré de celui de Morris, ça tombe bien on n’est pas loin d’El Paso et les bonshommes se trimballent avec un colt sur la hanche. Rien de bien enthousiasmant a priori mais voilà , il y a au delà d’une histoire très convenue des dialogues ciselés et subversifs. Car Nicolas Pothier est un dangereux activiste qui utilise la bande dessinée pour faire passer des messages séditieux. Il est très fort. Dans Ratafia, série pour la jeunesse mettant en scène de joyeux pirates, il avait réussi à glisser une saloperie sur Adam Smith, ce grand penseur du libéralisme triomphant (la «main invisible du marché», c’est de lui), tout en douceur, sans que cela n’apparaisse comme une rupture dans le récit. Très très fort. Avec Caktus, on change de contexte narratif en restant dans le registre. Santa Pé est une ville champignon où “après le palais de justice, l’école, la poste et l’hôpital, [avec la blanchisserie qui flambe] c’est encore un service public qui part en fumée”. Le pasteur remplacera donc l’institutrice. “On y gagne au change, dit un gamin, tout ce qu’il veut nous apprendre tient en un seul livre”. À la question de savoir qui va bien pouvoir remplacer le blanchisseur, une dame suggère : “le banquier, peut-être”. Respect. À faire lire à votre môme, donc, de force, surtout s’il envisage de militer aux Jeunes Populaires comme sa grande sœur.

 

Gare ! La moustache au poitrail
Emmanuel Reuzé – Vraoum!

Bêtises non-sensiques assez drôles malgré le titre le plus con de l’année, servies par un dessin qui cultive réalisme moche et trames grossières dans le genre je connais ma BD de gare sur le bout de la plume. Mais “titre le plus con de l’année”, ça peut aussi faire partie du plan marketing. Et certaines histoires s’inscrivant dans le strict registre parodique affaiblissent l’ensemble, vues et revues depuis Mad, Fluide glacial ou Psikopat : la critique sociale est molle et le matériau d’origine (toute une culture pulp mâtinée de télé réalité) exsangue.

 

Flip et Flopi
Moolinex – Les Requins marteaux

Enfin ! Un condensé du magazine Ferraille première époque avant Winshluss, Felder et Cizo. Comme cela s’est vu dans d’autres publications pour la jeunesse, les auteurs de Ferraille aimaient parfois utiliser à  leur compte les personnages emblématiques inventés par les collègues. En guest stars ici : les jumeaux scouts Ricou et Bigou de Pierre Druilhe ultérieurement immortalisés par Bouzard. Si on distingue difficilement Ricou de Bigou, Flopi est tout de suite reconnaissable par ses boucles d’or et le fait qu’il se promène les fesses à l’air. Le trait est sale, le fond est punk, le livre est très joli avec sa bichromie rose qui permet de coloriser les glands. Moolinex n’a pas persisté dans la bande dessinée mais continue de faire des choses avec ses mains.

 

Motel art improvement service
Jason Little – Akiléos

Pour ses vacances, une jeune fille décide de sillonner les USA à vélo. Le sort veut que son projet soit retardé et qu’elle se retrouve, en attendant, au room-service d’un hôtel pas très loin de chez elle. L’occasion de découvrir le sexe, l’amour et la drogue. Propos sans prétention, personnage principal plutôt finement brossé, dessin doux, livre soigné dans sa facture (ici, des extraits en VO). Cela dit… Sur 201 pages formatées à  l’italienne, nous avons compté 47 cartouches portant la mention “pendant ce temps”. La question est de savoir pourquoi. Pourquoi l’auteur juge-t-il nécessaire de préciser “pendant ce temps” alors qu’on comprend parfaitement, à  la lecture, que c’est bien pendant ce temps-là  que ça se passe ?! Et c’est sans compter les nombreux “plus tard” et autres “le matin suivant” ! Mais peu importe, après tout, établir ce recensement implique qu’on a du temps à perdre ou qu’on souffre de névroses et ce n’est peut-être pas votre cas. Alors ce sera un chouette moment de lecture.

 

Abélard T1, la danse des petits papiers
Renaud Dillies et Régis Hautière – Dargaud

Un monde anthropomorphique, un oisillon tente de décrocher la lune pour séduire sa belle. Le récit, bien parti dans le genre initiatico-poético-gnangnan, s’assombrit rapidement. On pressent que tout cela va mal finir, il faudra néanmoins attendre un deuxième tome pour le vérifier. En tout cas, refermer le livre sur la question “c’est quoi, une pute ?” indique qu’on n’est pas tout à fait dans le registre édifiant à destination des chères têtes blondes. Quoique. La crainte et le rejet du romanichel dont il est question rappellent que les auteurs vivent dans un monde réel et triste, et il faudra bien un jour que les chères têtes blondes s’en rendent compte. Le trait de Renaud Dillies est toujours aussi joli.

 

Intrus à  l’Étrange
Simon Hureau – La Boîte à bulles

L’univers de Simon Hureau est peuplé de jeunes gens en voie de marginalisation et de bâtisses abandonnées aux ronces. Parfois jusqu’au-boutiste dans le sordide (Tout doit disparaître, Aspic voisine), il nous entraîne à l’Étrange avec une intrigue plus calme qui combine chasse au trésor, chronique sociale, anticipation et considérations écologiques, sans oublier de dénoncer la bêtise ordinaire. Panorama assez complet somme toute, dessin de caractère, lecture très agréable.

 

Beuville
Georges Beuville – Charrette

Beau livre rétrospectif consacré à un dessinateur prolifique dont le parcours se confond avec le vingtième siècle. Beuville a travaillé pour la presse et la publicité mais ce sont surtout ses illustrations de classiques de la littérature qu’on découvre ici. Fluidité du geste, sens du mouvement et de la situation. N’en doutons pas : nombre de pousses de la bande dessinée moderne, jeunes et moins jeunes, ont décortiqué le dessin de Beuville avant d’affirmer le leur.

 

Le perroquet des Batignolles
Stanislas & Tardi & Boujut – Dargaud

Impeccable récit au charme suranné dont l’action tourne autour de la Maison de la Radio. Précisons que le Perroquet des Batignolles fut d’abord un feuilleton diffusé sur France Inter (110 épisodes d’une dizaine de minutes, en 1997, par le tandem Tardi / Boujut). Stanislas offre des clins d’œil permanents à Tintin, sa ligne claire s’y prête, on pourrait tout autant citer Gil Jourdan (les voitures qui tombent à la baille) ou Blake et Mortimer (mystérieux méchant adepte de déguisements). Mais bien que le trait et la narration puissent paraître datés, ce perroquet ne sent jamais la naphtaline. Les auteurs et l’adaptateur jonglent avec l’ancien sans jamais tomber dans l’hommage régressif. “Batignolles” est pourtant de ces mots qui marquent à la fois l’espace et le temps. Un quartier de Paris qui ne va pas au delà du 17ème arrondissement ni des années soixante. Il paraît qu’on y trouve les derniers flics à képi, quelques chapeaux mous et des fourgonnettes Diane presque neuves. Quoi qu’il en soit, vivement la suite.

 

Incidents
Gérald Auclin d’après Daniil Harms – The Hoochie coochie

Le patron de la revue DMPP illustre en collages la poésie de Daniil Harms, des historiettes ancrées dans les années révolutionnaires du début du XXe siècle. Fables sans morale indifférentes à la glorification du socialisme, parfois même hostiles par leur absurdité : «Il faut écrire les poèmes de telle sorte que, si l’on jette un vers contre une fenêtre, la vitre se brise». Hop ! À l’asile le poète ! C’est là que Harms mourra dans sa trente-septième année, après avoir vivoté en publiant par défaut des histoires pour enfants — lui qui paraît-il détestait les gosses. Incidents ressemble d’ailleurs à ces livres pour tous petits dont on renforce la couverture cartonnée afin qu’ils durent plus longtemps. Les couleurs vives séduiront les plus jeunes, le caractère burlesque de certaines situations aussi : mettez donc cet ouvrage dans les mains du gamin qui subsiste en vous et il saura fort bien l’apprécier.