5165 livres de bandes dessinées auraient été publiés en France en 2010 selon les analystes (ce chiffre comprend les rééditions). 430 par mois, près de 15 par jour. Certains trouvent que la sélection officielle d’Angoulême, très honorable à notre goût, comprend beaucoup trop de titres. Mais 58 rapportés à 5165, ça ne fait guère plus de 1%. 5165… À titre informatif, sachez que c’était le nombre d’habitants de la commune de Vigneux de Bretagne (Loire Atlantique) en 2006.

 

TMLP

Gilles Rochier – Six pieds sous terre

Un drame de l’enfance dans une cité de Montmorency. Les histoires que raconte Gilles Rochier ont toujours quelque chose à voir avec ces barres de béton au pied desquelles il a grandi et qu’il sait dessiner comme personne. Récit drôle et douloureux, servi par un trait faussement maladroit. Très beau livre.

 

Soil T1
Atsushi Kaneko – Ankama

Deux flics enquêtent sur la disparition d’une famille vivant dans une “cité nouvelle” bâtie au milieu de nulle part. La quiétude et l’harmonie ne sont que façade. Derrière les fenêtres de ces villas bien alignées, la folie rode. Début prometteur d’une nouvelle série qui lorgne sur Twin peaks et Desperate housewives, par l’auteur de Bambi.

 

Le frisson
Jason Starr & Mick Bertilorenzi – Delcourt

Volume inaugural d’une énième “nouvelle” collection de polars US, chez Delcourt cette fois-ci. “Les meilleurs polars écrits par les plus grands auteurs américains du genre”, en toute simplicité. Meurtres rituels d’un serial killer héritier de vieilles et sanguinaires traditions druidiques (tout est dévoilé dans les premières pages). Ce frisson est moins un polar qu’un récit pseudo-fantastique tiré par les cheveux, on s’ennuie ferme.

 

Les bêtises de Xinophixerox
Sandoval – Paquet

Un diablotin de seconde zone sème la panique au village, les protagonistes zombifiés se bouffent entre eux. L’histoire ne s’inscrit dans aucun genre précis, un peu horrifique dans le propos, un peu poétique par le dessin et les couleurs délicates. Une espèce de conte à destination des adultes avec trop de personnages pour qu’on arrive à s’accrocher à  l’un ou l’autre. Ni vraiment réussi ni franchement raté. Trop résolument “à côté” pour qu’on puisse évacuer la suspicion de posture. Étrangement anecdotique.

 

Celluloïd
Dave Mc Kean – Delcourt

Fantaisies érotiques selon un auteur mâle et vraisemblablement hétérosexuel. Le personnage principal est une dame. Il va lui arriver plein de choses moites. Elle passera d’une belle plante multi-mamelée à  un démon surmembré. Fantaisies vues et revues, intérêt tout relatif, seul le dessin de Mc Kean varie les plaisirs entre réalisme et cubisme, N&B et couleurs. Globalement, on s’en fout quand même un peu.

 

Wollodrïn T1
David Chauvel et Jérôme Lereculey – Delcourt

Qui l’eut dit ? Un monde ultra-balisé par les suiveurs de Tolkien depuis un demi siècle, où cohabitent êtres humains, orcs et gobelins. Une équipe hétéroclite, une quête, une héroïne attractive, des grosses épées… Tous les ingrédients pour une belle daube calibrée et pourtant, le miracle peut-être (il s’agit d’un tome un), par un tandem inventif et malin. Cowboys et indiens late seventies version heroic fantasy : l’orc qui porte de belles peintures de guerre n’est peut-être pas le vrai méchant de l’histoire. Et s’il massacre les humains, il a sans doute ses raisons. Géronimo !!!

 

Cœur de glace
Marie Pommepuy et Patrick Pion – Dargaud

Adaptation réussie d’un conte d’Andersen (La reine des glaces). Quand les figures du conte prennent forme, toute la monstruosité de l’enfance apparaît, nue, parce que c’est bien de ça dont parle ce livre.

 

L’île au cent mille morts
Jason & Vehlmann – Glénat

Beaucoup de plaisir à retrouver les personnages anthropomorphiques de Jason, toujours les mêmes, qui donnent toujours l’impression de mal jouer leur partition, et puis l’immuable gaufrier et les aplats de couleurs informatiques (aussi étrange que cela puisse paraître, ces propos sont sincères). Une alléchante association avec Vehlmann, un des plus brillants scénaristes de l’époque, pour une histoire de pirates qui prennent d’assaut une étrange école. Plaisant. Un peu paresseux à vrai dire. Fallait finalement pas trop en attendre : c’est le problème quand on est alléché.

 

Le royaume
Ruppert & Mulot – L’Association

Celui des morts. Ruppert et Mulot s’approprient le vers de Dante “Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate”, donnent leur vision d’un enfer qui ne l’est pas tant que ça, infernal, juste un peu étrange, un royaume sans roi où l’on flotte en traînant derrière soi quelques derniers objets. Ruppert et Mulot étonnent à chaque livre, ils ont choisi pour celui-ci un papier journal amélioré, un format tabloïd, une lecture interactive qui peut s’achever par la destruction de l’ouvrage si on enchaîne les collages et découpages qu’ils proposent en s’étant préalablement cassé les yeux sur d’improbables reliefs. Étonnant, drôle, inventif.

 

Mambo
Claire Braud – L’Association

On passe complètement à travers certains livres. En ce qui concerne le chroniqueur de Contrebandes : celui-là, par exemple. Pff. ???. Hum.

 

Rorschach
Terreur graphique – Six pieds sous terre

Un récit psychanalytique tellement intime qu’il finit par exclure le lecteur. Dommage, même si on peut concevoir que son écriture relève du mal nécessaire, de l’inconfortable étape à franchir. Attendons la suite.

 

Trop n’est pas assez
Ulli Lust – Ça et là

La virée d’une punkette autrichienne dans le sud de l’Italie au début des années 80, soit pour cette toute jeune femme qui nous racontera son épopée 25 ans plus tard, un voyage spatial ET temporel. Que va trouver une gamine moderne, curieuse et naïve, sans un kopeck ni le guide du routard en poche, dans un monde moyenâgeux où les femmes restent cloîtrées en attendant qu’on leur trouve un époux tandis que les mâles errants dégoulinent de frustrations ? Des ennuis. Malgré les épisodes sordides qui jalonnent l’aventure il n’y a ici aucun regret, pas d’auto-apitoiement, pas de morale mais une certaine fraîcheur et l’ingénuité de l’adolescence : Ulli Lust a exhumé des vieilles notes pour traduire ses impressions d’alors. Avec un dessin efficace, elle délivre un beau livre plus romanesque qu’autobiographique.

 

Ma vie de garçon
Fabio Viscogliosi – Attila

Le compositeur-interprète-écrivain-dessinateur décline ses obsessions intimes pour tous. Après les strips minimalistes (La basse-cour), la bande dessinée muette (Da capo), le texte sans images (Je suis pour tout ce qui aide à  traverser la nuit), place au livre illustré. Ma vie de garçon reprend et complète un travail préalablement publié au Seuil. De biens jolis dessins soutenus par des pensées poétiques envisageant l’adolescence de l’auteur. Formes récurrentes : la solitude, l’insomnie, les ondes molles, les animaux butés à longues oreilles.

 

Body world
Dash Shaw – Dargaud

Nouveau pavé de l’auteur de Bottomless belly button. Un botaniste d’un genre spécial, fumeur, inhaleur, gobeur et piqueur, enchaînant les expériences hallucinatoires en tous genres, est invité dans une petite ville pour étudier une plante inconnue jusque là. Des expériences inédites se profilent. Ce récit monstre ne se rattache à aucun genre en particulier : la cité idéale où se déroule l’intrigue tient tout autant de Portmeirion, du Village des damnés que de l’Interzone de William Burroughs, l’action se passe dans le futur, il est question d’un complot planétaire, on nous détaille même les règles d’un sport collectif articulé autour d’un dé à 10 faces. Mais le plus important se trouve dans les relations amoureuses qui intéressent les quatre protagonistes : c’est avec les situations intimes et les dialogues que le talent de Dash Shaw se révèle vraiment.