Cui, fait le petit oiseau sur sa branche. Groumf, fait l’ourse en découvrant la lumière du jour. Plic, fait la goutte de rosée tombant de l’arbre sur la brindille, près du papillon affolé qui bientôt s’envolera dans un tourbillon de couleurs. Frl, fait la page sous le doigt du lecteur.
Santa Riviera
Morvandio & Mancuso & Arnal – Les Requins marteaux
Santa, amour, gloire et beauté enfin adaptés en bande dessinée ! Plus exactement : Santa, amour, gloire et beauté enfin explosés en bande dessinée. Charles Bronson et lady Di conduisent la visite. Vous aimerez ces nuques longues, ces permanentes, ces amours contrariées, ces conflits de générations, ce pont de l’Alma, sans oublier les essentielles parenthèses publicitaires. “Approuvé par la Commission Générale Mondiale du Savoir” et du coup, absolument indispensable.
Peter et Miriam T1
Rich Tommaso – Ça et là
Chronique douce-amère de l’amitié entre un garçon et une fille, au fil des ans, sans linéarité temporelle, sous la haut patronage de Roman Polanski et Russ Meyer. Bon livre.
Irrécupérable T1
Mark Waid & Peter Krauze – Delcourt
La déconstruction du mythe des super-héros continue, ici celle de Superman. Même s’il n’est pas officiellement cité le propos semble clair. Un blondinet habitué à sauver le monde se coupe la mèche et passe du côté obscur de la force. Écartons les raisons qui l’ont entraîné vers le mal : dans les fragments donnés à lire, elles ne forment pas la partie la plus réussie du comics. La pertinence est dans la noirceur et le sentiment d’étouffement, par l’impuissance généralisée face aux exactions d’un demi-dieu devenu diable et les réactions des gens éprouvant tout le spectre des comportements entre bassesse et avilissement, grandeur et résistance. Bien bien (graphisme quelconque dans le genre industriel propret).
Oklahoma boy
Thomas Gilbert – Manolosanctis
Sujet original, l’abrutissement religieux au pays des rednecks. Dessin agréable, scénario d’une finesse toute relative. Un soir, se réchauffant aux flammes d’un feu de camp, Oklahoma boy qui subit chez lui la violence d’un père illuminé demande à ses copains comment ça se passe dans leur famille. L’un se fait battre à coups de bâtons, la mère du second est alcoolique, le père de la troisième abuse d’elle. Comme disent les critiques du septième Art quand ils cherchent à souligner le caractère schématique de situations ou la psychologie caricaturale des personnages d’un film médiocre : “on se croirait dans une BD”.
Remarque : Manolosanctis se déclare “éditeur communautaire” et pré-publie sur le net des ouvrages qui seront ensuite imprimés, à moins qu’ils ne le soient pas. “Si vos bd sont appréciées par la communauté, vous bénéficierez d’une visibilité accrue sur le site, et avec l’appui du comité éditorial vous pourrez faire partie des auteurs édités, dont les albums sont disponibles à la vente”. “Quelles que soient les options de la licence CC choisies par l’AUTEUR, il accepte que l’exploitation commerciale du Site MANOLOSANCTIS ®© lui-même reste libre. Cela signifie que MANOLOSANTIS ®© peut notamment sur chacune de ses pages insérer un ou plusieurs bandeaux publicitaires de son choix, sans en référer à l’AUTEUR et sans que sa responsabilité puisse être recherchée à cet égard, quel que soit le produit ou le service pour lequel la publicité sera faite. MANOLOSANTIS ®© conserve également le droit de permettre l’accès au Site contre rémunération (comme une application IPHONE payante ou tout autre application non encore dans le domaine de la technologie à la signature des CGU), incluant la représentation de l’ŒUVRE, mais indépendante de celle-ci et ne donnant lieu à aucun rémunération à l’AUTEUR».
Bref. Vous, jeune auteur prêt à tout pour acquérir certaine visibilité, enverrez vos planches au site qui les mettra en ligne et pourra éventuellement en tirer quelques menus avantages financiers. Mais vous non. Si vos planches créent le buzz et si le service marketing considère que l’ouvrage a du potentiel en librairie, Manolosanctis trade mark copyright pourra l’imprimer et cette fois-ci vous rémunérer quelque peu (pas de précision là-dessus). C’est ce qu’on appelle une politique éditoriale.
Animal lecteur
Sergio Salma & Libon – Dupuis
Le libraire spécialisé en BD, sa vie, son œuvre. Trop de cartons dans lesquels se trouvent trop de livres dont se régaleront — ou pas — trop d’amateurs souffrant d’importants troubles psychologiques. Et oui, c’est comme ça. Bien senti et drôle.
Quai d’Orsay, chroniques diplomatiques
Christophe Blain et Abel Lanzac – Dargaud
Un jeune homme est embauché pour rédiger les discours d’un ministre des affaires étrangères qui ne s’appelle pas Galouzeau de Villepin mais Taillard de Worms, la différence s’arrête là. Grotesque, burlesque, dans le sens où seul le mouvement et la gestuelle comptent : enlevez le texte et cela fonctionne encore, on se laisse emporter par la tornade ministérielle magnifiquement orchestrée par Blain. Personnage égocentrique et hystérique, Worms n’en est pas moins sujet de fascination. Question : la publication de ce livre entrera-t-elle dans les comptes de campagne de Villepin pour la prochaine présidentielle ? Ah ah.
Las Rosas
Anthony Pastor – Actes sud / L’an 2
Une jeune femme embarrassée débarque dans une station service éloignée de la ville et, surtout, des hommes. C’est le shérif qui a convaincu Rosa de séjourner dans ce no man’s land, de s’installer dans une des roulottes qui s’accumulent derrière les pompes à essence. Voilà le départ d’un “western tortilla à l’eau de rose” s’étalant sur 320 pages. Anthony Pastor aime ses personnages, des femmes en souffrance attendant l’amour ou la suite du soap qu’elles suivent quotidiennement sur la télé de la boutique. La bonne nouvelle c’est que parfois l’amour se pointe, comme dans un soap. Vous n’aimez pas la guimauve ? Approchez, n’ayez pas peur. Lisez cette bande dessinée absolument épatante et puis séchez vos larmes.
Les enfants de l’envie
Gabrielle Piquet – Casterman
Il fut une époque où l’OTAN installait des bases militaires dans toute l’Europe de l’Ouest. Pendant la guerre froide, des régiments de soldats américains gorgés de testostérone débarquèrent sur le vieux continent avec la ferme intention de mâcher du chewing gum. Gabrielle Piquet s’intéresse plus particulièrement à la base de Laon, désertée après 66 quand Mongénéral décida que le temps était venu pour la France de sortir de l’Alliance atlantique. Que deviennent celles et ceux qui restent ? Désastre intime pour beaucoup, abandonnés à leurs fantasmes, à leur sort de chômeurs ou de filles-mères. Humaniste, le récit oscille entre document et fiction sous un trait qui rappelle l’art de Quino et celui de Sempé. Cette belle histoire aurait pu faire un très chouette livre mais malheureusement, c’est Casterman qui édite.
Cocaïne et chaussons blancs
Eugénie Lavenant – Matière
Sur la couverture, tout est dit. L’ouvrage est consacré à une chanteuse plus connue pour ses frasques que sa (bonne) musique. Amy Winehouse, jamais citée, présente à chaque page. Condensé de tabloïd distancié par un dessin N&B qui s’attache à reproduire des photos ancrées dans l’imaginaire collectif, sous lesquelles l’auteure place des phrases à la manière de (la presse de caniveau). Il faut vanter le travail singulier des éditions Matière, qui ne sortent que très peu de livres par an avec ceci de particulier qu’ils finissent toujours par trouver leur public.
R.I.P.
Thomas Ott – L’Association
Noir et blanc incisif par le noir incisé : carte à gratter, toujours. Sans parole, comme d’habitude. Mauvais esprit, série Z, mauvaise haleine, morts violentes : Thomas Ott est un être de bon goût et son chef-d’œuvre s’intitule 73304-23-4153-6-96-8, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Écrites entre 1985 et 2004, les nouvelles ici recueillies condensent tout le talent de ce Suisse allemand qui adopta le genre psychobilly au début des années 80 comme on l’apprend dans le livre, même si les références aux Cramps ne sont pas une surprise. Ouvrage parfait, du premier crâne à la dernière tête de mort.
Panique en Atlantique
Fabrice Parme et Lewis Trondheim – Dupuis
Fais tourner la franchise Spirou : après le tandem Yann/Schwartz, ce sont Parme et Trondheim qui s’y collent en mélangeant les inévitables ingrédients vintage. Recette agréable, bien réalisée et sucrée, finalement sans grande saveur. Il manque la poésie, ou alors c’est le délire qui ne va pas assez loin, ou alors les deux. Prenez l’invention qui articule le récit, un rayon qui permet de geler instantanément la flotte et donc de la solidifier. Un peu l’inverse du métomol de Franquin en quelque sorte. Mais faire débander des fusils, c’était quand même autre chose que s’amuser avec le jouet anecdotique sur-utilisé par Trondheim pour nourrir son intrigue. Bon : le livre est loin d’être désagréable, juste un petit peu ennuyeux à la longue.
Bandonéon
Jorge Gonzalez – Dupuis
À la fin des années dix, un bateau venu d’Europe débarque des migrants sur les côtes argentines. Parcours d’un garçon d’origine italienne : le petit pianiste surdoué qui se frottait aux musiciens de tango, aux anarchistes, à la pègre et aux prostituées, trouvera adulte le droit chemin — c’est à dire l’ennui. Séduisant sur le plan graphique (hors le montage de quelques vignettes à la truelle informatique pour traduire la répétition du quotidien), plus conventionnel quant à l’histoire. Qui s’achève aux deux-tiers du livre au profit d’un soliloque de l’auteur en dessins et collages, sur la condition d’émigré et sa condition à lui. Réussi aux deux-tiers.
Cadavre exquis
Pénélope Bagieu – Gallimard (Bayou)
Une jeune cruche s’entiche d’un écrivain sur le retour. Personnages caricaturaux et antipathiques, histoire invraisemblable. Passons à autre chose.
Borgnol
Les sœurs Dupré la Tour – Gallimard
Borgnol est un ours polaire qui terrorise les animaux de la banquise car il ne pense qu’à une chose : les bouffer. Jusqu’au jour où, les pattes prises dans la glace, il jure à un minuscule oiseau de ne plus croquer ni phoques, ni lapins, ni loutres, ni mouettes, ni morses, ni orignaux — liste non exhaustive qui réduit considérablement les possibilités de menu — à condition qu’on le sorte de cette galère. Le volatile pisse sur la glace et délivre Borgnol. Bienvenue dans l’univers pop pipi caca de la famille Dupré la Tour. On connaissait Florence pour son méchant Capucin, on avait entendu parler de Bénédicte à travers les chroniques de Forever ma sœur, les jumelles ont travaillé main dans la main sur cet ouvrage à destination du jeune public. Avec une prédilection certaine pour les blagues usant des matières organiques qui réjouissent les mômes et certains parents. Sales gosses.
Océan
Warren Ellis & Chris Sprouse – Panini comics (Wildstorm)
One-shot de science-fiction au format comics par le scénariste de Transmetropolitan et le dessinateur de Tom Strong. Une expédition chargée d’explorer un satellite de Jupiter, Europe, met en évidence la présence d’eau liquide sous l’épaisse couche de glace qui recouvre la planète. Dans les profondeurs, un mal ancestral attend d’être réveillé… Une louche de Ridley Scott (Alien), une pincée de Bram Stocker (Dracula), quelques morceaux de Steve Ballmer (Microsoft). On est loin de la rage hallucinée de Spider Jerusalem, le journaliste gonzo de Transmetropolitan. L’histoire aurait mérité un graphisme plus sombre et moins statique que celui de Sprouse. Plutôt réussi néanmoins.
Le syndrome de Warhol
David Cren et Renaud Cerqueux – Desinge & Hugo & Cie
Hey hey my my… Rock’n’roll will never die… Elvis non plus… Jusqu’où la passion de la musique peut-elle conduire ? Une nazie hermaphrodite, un savant fou, un tueur laconique et une grande gueule moustachue coursent un étrange barbu jusqu’à Las Vegas où se tient la convention annuelle des sosies du King. Sosies, ou clones ? Mauvais esprit potache sans prétention. Plaisant.
Yo gringo
Rémi Cramet – Scutella
L’auteur qui a sans doute lu tout Carlos Castaneda se perd dans un voyage initiatique au Mexique. Fumer, boire et déboires. Assez beau mais bof. Et beaucoup trop cher.
Les derniers jours d’un immortel
Gwen de Bonneval & Fabien Vehlmann – Futuropolis
Dans un monde futuriste et multiculturel, un policier enquête sur l’hostilité réciproque de deux espèces vivant sur la même planète. Mais la science-fiction n’est ici qu’un prétexte, Fabien Vehlmann conduit des réflexions parallèles sur le temps qui passe et l’importance des souvenirs, et le sens donné à la vie dans une société qui a trouvé comment s’affranchir de la mort, en profitant d’un improbable bestiaire pour se confronter à quelques paradoxes bien sentis. Le graphisme tout en retenue et abstraction de Gwen de Bonneval sert puissamment une lecture sur laquelle on pourra revenir, encore et encore, avant d’en épuiser le foisonnement : réussite majeure.
Des berniques
Sébastien Lumineau – Cornélius
Parfois un couple ne tient plus qu’à un fil. Certainement pas le fil de la parole mais l’habitude, la peur du vide. Zone floue où s’installe la détestation de l’autre sans qu’on le veuille vraiment, alors on se serre encore une fois, on éprouve la complicité pour ne pas se persuader qu’il n’y a plus rien à se dire. L’hébétude, un jour pluvieux sur la plage, Sébastien Lumineau raconte tout cela très bien dans ce petit livre presque silencieux, comme il se doit.
Guin saga T1
Kaoru Kurimoto et Kazuaki Yanagisawa – Milady
Un manga prévu pour s’achever en seulement trois volumes a forcément quelque chose d’attractif pour le lecteur paresseux. Trait précis et agréable, à part quand le dessinateur gratifie la bimbo de service d’yeux à peu près aussi gros que sa poitrine — les tics graphiques de la bande dessinée japonaise ont la vie dure. L’histoire ? Une bonne heroic fantasy des familles, roi à tête de fauve, sorciers magiques et mal absolu qui rode, tout le tra-la-la.
Kick-ass T1
Mark Millar & John Romita, Jr – Panini
Bonne idée : mettre en scène les aventures d’un geek qui enfile un costume de vengeur masqué pour donner un sens à sa vie et accessoirement séduire une copine de classe. Dit comme ça, évidemment, ça ressemble au pitch d’un nombre invraisemblable de comics (au premier rang desquels Spiderman). Sauf que le gamin évolue dans la vraie vie des vrais gens qui n’ont pas de super pouvoirs et que c’est toute l’astuce. Le blondinet fadasse du début reste tout aussi fadasse à la fin, avec un nez cassé et quelques chicots en moins. Tout ceci pourrait être franchement plaisant si deux personnages nettement plus super n’apparaissaient à l’issue de ce premier épisode en gâchant forcément l’ambiance. Attendons la suite (pas vu le film).
Cecil et Jordan à New York
Gabrielle Bell – Delcourt
Gabrielle Bell prend la vie comme une tarte (à la crème ? Dans la figure ?) dont elle découpe des tranches sans se soucier du côté où se trouve la cerise. Alors de ses histoires on rate parfois le début et souvent la fin, mais après tout peu importe. Des adolescents et de jeunes adultes inexpressifs font ce qu’ils peuvent pour échapper à l’ennui, ne serait-ce qu’attendre. Parfois léger, souvent très sombre. Beaucoup aimé.
Melo Bielo
Besseron et Felder – Desinge & Hugo & Cie
Deux piliers des Requins marteaux période Ferraille se délocalisent chez un éditeur partageant les valeurs entreprenariales de Franky Baloney. On se marre bien en suivant les déboires d’un camionneur qui doit livrer un béluga à un gros poisson de Minsk mais qui, en chemin, tombe amoureux d’une joueuse de tennis biélorusse. Tendre passion.
3 Instincts
Juilen Parra – Emmanuel Proust
Thriller psychologique marinant dans son judéo-chrétien (culpabilité à tous les étages). Avec un scénario très travaillé et des choix formels distincts pour chaque chapitre, 3 instincts se distingue de la masse des productions actuelles. Premier livre d’un jeune auteur presque toulonnais dont le trait hésite encore entre bases franco-belges et fondements japonais : à suivre !