Après les fêtes de fin d’année, contre le cholestérol éditorial : des chroniques subjectives sans matière grasse ni sucre ajouté. Dernières entrées en haut de la liste.
Être riche
Daniel Blancou – Sarbacane
Critique par l’absurde du marketing et de la valorisation du rien, de l’individualisme roi et de l’auto-entreprenariat comme réussite sociale. Bon esprit, un peu léger : Blancou ne pousse pas le bouchon assez loin.
Dolor
Paringaux et Catel – Casterman
Réhabilitation maligne d’une starlette d’avant guerre, dialogues savoureux, Paringaux conduit son récit avec dextérité pour nous amener où il le souhaite. Le problème vient du talent spongieux de Catel. Comme elle bosse avec Paringaux, elle se sent obligée de faire du sous-Loustal.
Le diable amoureux et autres film jamais tournés par Méliès
Vehlmann & Duchazeau – Dargaud
Deuxième ouvrage du tandem après le très réussi cinq conteurs de Bagdad. Sept historiettes plus ou moins connectées pour rendre hommage au cinéaste magicien. D’où vient la déception ? D’une gourmandise non pleinement satisfaite sans doute. Beaucoup de fantaisie mais pas assez de mystère, et pas du tout de cinéma. Autre chose : serait-il possible, pour une fois, d’évoquer le début du XXe à Paris en contournant l’exposition universelle et en oubliant le zouave du pont de l’Alma ?
Pluto (2 volumes parus sur 8 attendus)
Naoki Urasawa, d’après Osamu Tezuka – Kana
L’auteur de Monster et 20th century boys recrée une aventure d’Astro boy à l’intention des adultes en étirant le propos original. Il paraît qu’après ses deux précédentes séries, unanimement reconnues comme des sommets du thriller, on commence à voir les ficelles. Comme on n’a pas lu ni Monster ni 20th century boys on s’en fout. Un robot hors normes enquête sur le meurtre de ses semblables, entre replicants de Philip K. Dick et personnages de Isaac Asimov. Construction dramatique de première classe. Palpitant, immédiatement addictif.
Un peu plus de légèreté dans un monde de filles
Collectif – Jean-Claude Gawsewitch
Voilà une aberration. Plusieurs dessinatrices sont invitées par l’éditeur, en leur qualité de jeunes femmes modernes, à raconter des anecdotes légères sur la condition féminine. Le résultat est affligeant, les plus réacs des dessinateurs moustachus des années cinquante n’auraient pas fait pire : “les durs choix dans la vie d’une fille : hiiiii ! Quelle culotte je vais mettre ce matin ?” ; “la vie est une jungle : comment tu as deviné que les soldes ont commencé ?” Poncifs misogynes qui relèguent la femme au rang de cruche superficielle et matérialiste. C’est pour de rire ? Du deuxième degré ? En quelque sorte mais de façon involontaire, car à force d’être très con le livre en devient cyniquement drôle : il est même préfacé par “la chef de produit Always” (fabricant de tampons hygiéniques ici partenaire) qui se réjouit de voir ainsi “…croquer avec fantaisie et autodérision des anecdotes typiquement féminines”. Insupportable.
Journal d’Italie
David B – Delcourt
Une déambulation intérieure, décousue comme peut l’être le fil de la pensée. David B marche dans la ville, dans les villes. Triestre, Venise, Parme et puis Montreuil. Ceux qu’il croisent au détour d’une rue ou d’une lecture le tirent par la manche : raconte mon histoire ! Raconte mon histoire ! Lucky Luciano, un universitaire allemand, un illuminé vénitien l’entraînent pas tout à fait malgré lui dans d’improbables récits. Même s’il est toujours attentif à ses rêves et si son art plonge comme jamais dans le surréalisme, David B reste avant tout un observateur et un conteur. Quand une histoire s’empare de lui, il prend bien soin de passionner le lecteur qui dévorera ce journal intime sans jamais endosser la tenue du voyeur. Comment se raconter en parlant de tout mais fort peu de soi-même : une leçon de pudeur et d’érudition qui ne la ramène pas. En plus, le bouquin est agréable à manipuler et bien réalisé, contrairement aux autres ouvrages de la collection Shampooing. Trondheim (le directeur de la collec) traite bien ses amis (il fut co-fondateur de l’Association avec David B et quelques autres).
Short scories
Lindingre – Les Requins marteaux
Douze historiettes pré-publiées de ci de là et plein de dessins annexes pour rire en famille. “Hé m’man ! Est-ce que Jimmy peut rester dormir à la maison ?” “D’accord Billy. Mais n’allez pas me faire de la sodomie dans les draps tout propres !” Les personnages de Lindingre vont souvent au bistrot. Ils ont tous une tête de poire et un nez de cochon, mais le sens de l’accessoire qui fait la moitié du génie de l’auteur permet de les distinguer. L’autre moitié du génie de l’auteur explose dans les dialogues, dont le coefficient de pénétration dans l’air est particulièrement élevé. Lindingre est un homme inspiré, qui a sélectionné sans faute de goût ses mentors et amis, Grolandais, Gourio, Choron, Hara Kiri. “Cet album est dédié à Bruno Léandri, le seul homme à moustache qui ait vraiment su m’aimer. Merci aussi à Lefred-Thouron, le seul homme à moustache que j’aie vraiment su aimer”.
Samouraï
Eberoni – Futuropolis
De l’anticipation comme on n’en fait plus depuis 1975 et ce n’est pas un compliment. Des femmes nues et des vignettes pornographiques qui ne nourrissent pas le récit. Des postures figées dans les clichés photographiques qui ont permis à l’auteur de besogner ses cases. Une narration sans dialogue mais avec commentaire off, lourd et prétentieux. Futuropolis édite beaucoup trop de livres.
Gaza 1956, en marge de l’histoire
Joe Sacco – Futuropolis
Le journaliste/dessinateur américain s’intéresse à deux épisodes oubliés de la crise de Suez, “notes de bas de page de l’histoire officielle”, deux séries d’exécutions sommaires et massives de Gazaouis perpétrées par Tsahal dans les villes de Khan-Younis et Rafah en 56. Il traque les survivants et confronte les témoignages, le temps a filé sur les souvenirs… On ne peut pas parler d’un prolongement testimonial puisque ces drames n’étaient plus jamais évoqués, enfouis et condamnés à disparaître avec les derniers protagonistes qui, depuis un demi-siècle, en ont connu d’autres. Voilà le message principal du livre : rien ne change à Gaza s’agissant de la détresse sociale, des humiliations et de l’arbitraire. La menace, par contre, semble aujourd’hui désincarnée. Omniprésents en 1956 dans leurs uniformes de soldats, les Israéliens ont disparu du paysage en tant que personnes. On les devine, retranchés dans les blockhaus des postes frontière, surveillant Rafah depuis la tour Tal Zorob, à l’abri des blindés qui rasent sur la route Philadelphie les maisons suspectées d’abriter des terroristes ou des trafiquants, c’est-à-dire à peu près toutes les maisons. Forcément subjectif, ce qui n’empêche ni la lucidité ni l’honnêteté intellectuelle, Sacco éclaire la situation actuelle par son enquête sur des événements passés. Il se met en scène, expose ses questionnements intimes, décrit ses rencontres, le quotidien de celles et ceux qu’il croise, établit la cartographie des tensions près de la frontière égyptienne au moment où les USA de G.W. Bush s’apprêtent à envahir l’Irak (écrire et dessiner un tel ouvrage a pris du temps, nous lisons aujourd’hui le résultat d’une enquête initiée il y a presque dix ans). Un témoignage qui transcende les genres, indispensable pour qui souhaite approfondir sa lecture du conflit israëlo-palestinien.
Houba ! : une histoire d’amour
André Franquin – Marsu productions – 9,99€
Les pages qui composent ce, heu, “livre”, sont extraites du Nid du Marsupilami, chef-d’œuvre de l’inventeur du petit animal à longue queue. L’éditeur (Marsu prod.) a coupé, raboté, viré les bulles, redessiné, décadré, recadré les images, reformaté à l’italienne. Et il vend ça 10 euros. Si vous ne connaissez pas le Nid du Marsupilami, sachez qu’il est recueilli avec six autres titres dans le tome 5 de l’intégrale des aventures de Spirou et Fantasio, travail patrimonial fort bien foutu des éditions Dupuis, et que l’ensemble coûte 19€. Le chaland est donc invité à s’abstenir d’acheter le livre ici commenté, en se souvenant qu’on coupe des arbres pour que ce genre de saloperies infestent ensuite les étals des libraires. Houba ! : une histoire de bizness.
Sam Bot
Raoul Buzzelli – Delcourt – 14,95€
Les éditeurs français réhabilitent la bande dessinée de gare, importée massivement d’Italie pendant les trente glorieuses. Necron chez Cornélius, Tex, Martin Mystère, Diabolik chez Clair de lune et Sam Bot, donc, chez Delcourt (toutes ces rééditions ne se valent pas). Fumetti vendus dans les kiosques de la péninsule, fascicules de piètre qualité formelle destinés à vider la tête du lecteur (mâle) qui rentre chez lui après une dure journée de labeur. Humour potache, filles délurées et chichement habillées. Sam Bot est un jeune binoclard toujours dépassé par ce qui lui arrive et il lui en arrive de belles vu qu’il a été bien doté par la nature, comme on dit. Charme désuet de ces aventures qui eurent parfois des problèmes avec la censure, on se demande bien pourquoi aujourd’hui. À noter, Raoul Buzzelli est le frère de Guido, auteur inscrit au patrimoine officiel de la bande dessinée transalpine. Raoul, la honte de la famille.
Junk (deux tomes)
Brüno et Pothier – Treize étrange
Genre : wild wild west. De vieux grigous d’au moins quarante ans reforment leur bande une dizaine d’années après s’être séparés, dans l’objectif de mettre la main sur le trésor des confédérés. Bien sûr, rien ne sera simple. Dialogues ciselés par Nicolas Pothier, excellent scénariste de Ratafia, dessins faussement naïfs de Brüno. Auteurs de qualité, divertissement de qualité.
Cécile
Séverine Lambour et Benoit Springer – La Boïte à bulles
Alors ce serait l’histoire d’un type il serait dessinateur de bandes, alors le type il aurait une copine mais en fait il tomberait amoureux de sa nouvelle voisine et du coup il laisserait tomber sa copine. Waow. 3 minutes et 17 secondes de lecture plus tard, le lecteur referme le livre qu’il vient d’achever en se disant, ah zut, j’ai encore perdu 3 minutes et 17 secondes (et par la même, 12 euros 50). À noter : il s’agit d’un premier tome. Bastien Vives ! Sors de ce corps !
Terre de feu (deux tomes parus)
Hugues Micol (dessin) et David B. (scénario) – Futuropolis
Grande aventure épique se déroulant à la toute fin du XIXe siècle. Sous la plume feuilletonesque de David B., cette Terre de feu au climat rigoureux devient densément peuplée d’indiens natifs, de fils de bonne famille chilienne nihilistes et violents, de révolutionnaires en fuite, de bandits à l’affût, de confréries mystérieuses, de notables dépassés qui se croisent, se poursuivent et s’affrontent. Hughes Micol orchestre la partition avec un prodigieux sens du rythme et du mouvement. Dans le vent glacial des terres australes les chevaux se cabrent, les brindilles se couchent, la tempête ne daignera s’apaiser que lorsque le lecteur, ébouriffé, refermera le livre. Magistral.
Plus cool tu meurs
Alex Robinson – Rackham
Le troisième ouvrage d’Alex Robinson publié en France (si on ne compte pas Bonus, la courte prolongation de De mal en pis) n’est pas un récit choral : une fois n’est pas coutume. Un quadragénaire se fait hypnotiser pour arrêter de fumer et se réveille adolescent à l’époque où une fille lui a offert sa première cigarette. Ossature d’un récit introspectif sur le thème “…et si c’était à refaire ?”. L’auteur revient à/sur un âge où le champ des possibles reste à labourer, quand on fait les premiers choix d’importance qui conditionneront la suite sans qu’on s’en rende vraiment compte. Le quadra redevenu ado perturbe le passé, bouche les trous, s’affranchit des regrets qui l’obsèdent. Pas le plus romanesque des Robinson, sans doute le plus personnel.
Pip et Norton
Dave Cooper & Gavin McInnes – Delcourt
Un être hybride entre lapin et saucisse, très hystérique et très con, avec un petit gros flottant au dessus du sol pour jouer les faire valoir. Historiettes où l’on croise Barbra Streisand, des chaussettes qui puent, Moebius et Robert Crumb. Du grand n’importe quoi agréablement réalisé, relativement anecdotique tout de même.
Lapin (revue de bande dessinée)
Collectif – L’Association
Lapin est la revue historique de l’Association, où les notables de la bande dessinée moderne ont depuis 1992 fourbi leurs armes (Joann Sfar, Emmanuel Guibert, David B., Frédéric Boilet, Winshluss, Marjane Satrapi, Lewis Trondheim etc.). Février 2009 : après plusieurs formules et une longue interruption, Lapin revient avec de belles ambitions : confier l’essentiel des pages à une nouvelle génération d’auteurs, tenir un rythme trimestriel, livrer plus de 200 pages par numéro. Une trentaine de jeunes dessinateurs ont déjà rejoint les grands anciens (François Ayroles, Baladi, Vincent Vanoli, Mattt Konture). Parmi les récits à suivre, citons le portrait croisé de Bettie Page et Linda “Deep Throat” Lovelace par Nine Antico, une étrange histoire d’espionnage par Henninger et Gosselin, l’épatante biographie d’une prostituée par Matthias Picard, auxquels s’ajoutent les travaux de Lisa Mandel, Simon Hureau, Catherine Meurisse, François Olislaeger, Ruppert et Mulot, Lucas Méthé et tant d’autres ! Du très bon et très varié, vraiment. Le problème est que malgré un prix raisonnable et la diversité du matériau proposé, la revue n’attire pas le chaland. Comment se fait-ce ? “Les Revues sont considérées comme moins que Rien par la masse des lecteurs”, constate le timonier de l’Association Jean-Christophe Menu, avant d’ajouter : “ce qui est résolument la preuve, s’il en manquait encore, que la masse des lecteurs n’existe pas”. Achetez Lapin !
Le vagabond de Tokyo, résidence Dokudami
Takashi Fukutani – Le Lézard noir
Yoshio habite un appartement miteux de la résidence Dokudami. Il passe ses journées à vagabonder entre mauvais jobs — rarement –, mauvais sexe — quand il y en a — et mauvais alcool — ça, ça ne manque pas. Chroniques drôles et désespérées par un mangaka mort prématurément d’abus éthyliques. Contes d’une folie presque ordinaire, Bukowski n’est pas loin. Très bon livre.
Hosni
Maximilien Le Roy – La Boîte à bulles
Parcours d’un SDF raconté par lui-même. L’engrenage, la solitude avec l’alcool et la folie en embuscade. “Dors dans un foyer et tu peux être certain de te faire emmerder, tabasser ou racketter, il faut pas imaginer les sans-le-sou solidaires”. Un ouvrage édifiant pour la jeunesse de 7 à 77 ans.
Ida T1
Chloé Cruchaudet – Delcourt
Ida est une vieille célibataire hypocondriaque de trente ans. Vieille ? Cela se passe à la fin du XIXe siècle et selon l’auteur elle-même, “à cette époque, célibataire à trente ans, tu étais déjà faisandée”. Elle part à l’aventure en Afrique et en robe à crinoline. Ironique et drôle, trivial sur le fond et délicat dans la forme, cocktail réussi (à suivre).
Vers le nord
Xabi Molia et Élodie Jarret – Sarbacane
Quête initiatique d’un jeune homme randonnant en Suède sur les traces de son arrière grand-père, disparu alors qu’il traitait avec une avant-garde extra-terrestre. Rien à voir pourtant avec un récit de science-fiction. Trait naïf au sens primitif du terme, ambiance à la Jarmusch. On y cite Tocqueville, Hendrix et Lévi-Strauss, Hannah Arendt et Kurt Cobain : voilà le lecteur en bonne compagnie.
Les rois du pétrole
Vincent Bergier et Laurent Kling – La Pastèque
Trois camarades de galère tentent de survivre dans un univers post-quelque chose, peut-être pas post-apocalyptique mais pas loin, l’électricité court encore le long des lignes à haute tension et les usines semblent toujours fonctionner mais ils sont bien seuls, uniques figures biologiques à s’agiter encore dans un paysage ravagé par la pollution industrielle. Jusqu’à ce qu’ils croisent un poulet. Côt côt.