Des livres pour la jeunesse “sans risque pour la santé des adultes”. Sur le logo, virgule et parenthèse forment une oreille. Le message est le suivant : nous maîtrisons la réalisation de nos livres jusqu’au bout des caractères typographiques. Une douzaine de créations par an, deux ou trois traductions. Malgré son jeune âge, l’éditeur transalpin séduit ses confrères français et pas les moindres : Rouergue, Panama et Albin Michel ont déjà pioché dans le catalogue.

emma.jpg Orecchio acerbo, c’est d’abord le nom d’un atelier graphique ouvert à Rome par Simone Tonucci (le garçon) et Fausta Orecchio (la fille). Campagnes publicitaires, brochures promotionnelles, expositions. Les illustrateurs de l’atelier, avec lesquels Fausta travaillait avant la création d’Orecchio acerbo en 2000, ne sont pas tous italiens et certains ont des livres à leur actif. Mais parce que les éditeurs de la péninsule boudent leurs talents, Fausta et Simone décident rapidement de faire le boulot eux-mêmes. Un premier ouvrage de Fabian Negrin, Il gigante Gambipiombo, sort en décembre 2001[[En France : Le géant Patenplon, Rouergue 2007.]].

Ce livre fondateur se présente sous la forme d’un accordéon de papier d’un mètre de long (“mille millimètres à regarder et lire”) qui, replié, n’excède pas la taille d’une carte postale. D’autres s’inscriront dans cette collection mais par souci économique, on adopte pour les ouvrages de taille plus conséquente une épaisse couverture cartonnée sur dos toilé (ou non). Ces caractéristiques deviendront la signature de l’éditeur. Une signature qui s’exporte puisque Le livre en pente de Peter Newell sera publié en France à l’identique (Albin Michel, 2007).

Orecchio acerbo : jeu de mot utilisant le nom de famille de Fausta et une formule du poète et conteur Gianni Rodari. L’orecchio acerbo qualifie l’oreille enfantine, celle que de rares adultes ont la chance de conserver pour écouter ce que racontent les arbres, les cailloux et les nuages.

notice.jpgProfession de foi : “Les histoires que nous publions cherchent à divertir ou intéresser les enfants sans être banales. Notre idée est que dans un monde profondément contradictoire, il est préférable d’instiller de petites incertitudes plutôt que d’asséner de grandes Vérités. Les mamans ne sentent pas toujours le parfum. Les oies ne sont pas toujours stupides. Il existe des endroits dans le monde où les enfants ne sont ni aimés, ni bons”.

On a dit à  Fausta Orecchio : “tes livres ne peuvent pas être pour les enfants, il sont trop beaux, trop bien réalisés”. Elle a donc jugé utile d’insérer une notice dans ses ouvrages, ressemblant en tous points à celles qu’on trouve dans les boîtes de médicaments.

“PRÉCAUTIONS D’EMPLOI : le produit devra être administré simultanément à l’adulte et l’enfant. On signale des cas isolés de prise individuelle, où l’individu adulte a été retrouvé en état de confusion mentale aiguë.

POSOLOGIE : 12 à  15 livres par an, un à deux par mois. Il est conseillé de ne pas dépasser la dose prescrite pour ne pas se retrouver à lire toujours le même livre, dans la mesure où le fabricant est résolu à ne pas en produire davantage.

SURDOSAGE : Une dose excessive ne devrait pas présenter de risque pour la santé, à moins que vous ne suiviez parallèlement un traitement du même type. Pour traiter le surdosage, on veillera à expulser (pendant une heure) l’excès de paroles et d’images à travers l’évocation orale des histoires ingurgitées. Si aucune amélioration n’est observée, on pourra administrer une légère dose de télé-poubelle”.

Catalogue sélectif

ombra.jpg Deux livres collectifs pour commencer : L’ombra e altri racconti de Hans Christian Andersen (2005) et Il mondo invisibile e altri racconti de Fabian Negrin (2004) réunissent une pléiade de dessinateurs de haut vol, italiens (Lorenzo Mattotti, Gabriella Giandelli, Francesca Ghermandi, Gipi, Igort, Stefano Ricci, Franco Matticchio), français (David B., Blutch), argentin (José Muñoz), allemands (Anke Feuchtenberger, Markus Huber), espagnols (Arnal Ballester, Javier Olivares). On aura noté que beaucoup sont des auteurs de bandes dessinées qui travaillent habituellement pour un public adulte.

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Brad Holland, illustrateur américain dont les travaux sont publiés dans Vanity fair, the New York times ou the Wall Street journal, est invité en 2006 à  la Foire internationale du livre de Turin. À l’occasion, il expose ses peintures au Torino Atrium et inaugure Dark to light, la notte di Q e altre opere, un magnifique recueil d’illustrations conçu par Orecchio acerbo. Un livre-catalogue, donc, qui s’éloigne de la littérature jeunesse.

slant.jpg Peter Newell est un auteur américain du début du vingtième siècle au trait raffiné, complètement oublié quand Fausta exhume ses travaux : ses livres ne sont plus édités nulle part. Peut-être a-t-il abusé des blagues raciales à une époque où cela ne choquait pas le lectorat, c’est-à-dire le lectorat blanc. Certains ouvrages seraient difficilement admissibles de nos jours, tel l’étonnant Topsys & Turvys dont chaque image se lit dans un sens (dos à  gauche) puis dans l’autre (dos à droite). Une animation est disponible sur le site du traducteur italien de Newell, Marco Graziosi.

Précurseur, Newell bouscule au début du vingtième siècle les habitudes éditoriales avec ses livres non rectangulaires ou troués, initiatives communes en 2009 mais inédites alors — même si les pop-ups existent déjà. The slant book et The rocket book sont aujourd’hui réédités par Orecchio acerbo (en France : Le livre en pente et Le livre fusée chez Albin Michel). Pour Le livre en pente, les romains ont fait un vrai travail de restauration en recréant la police de caractères penchés telle que l’avait prévue Newell.

Artiste emblématique de la maison italienne, Spider (Daniele Melani) utilise souvent le bois comme support et donne du relief à ses peintures, voilà sans doute pourquoi ses pages laissent une délicieuse impression surannée : La riparazione del nonno sur un texte de Stefano Benni (2006) et Emma, les tribulations d’une fleur en hiver (2008).

luppo.jpg Tout comme celui de Spider, on retrouve le nom de Fabian Negrin sur plusieurs pages du catalogue de l’éditeur romain. Negrin écrit (voir Il Mondo invisibile, évoqué plus haut), dessine et peint. In bocca al lupo (2005) raconte l’histoire du petit chaperon rouge du point de vue du loup (en France, Dans la gueule du loup aux éditions du Rouergue (2006)).

mistero.jpg Autre merveille : Il mistero delle antiche creature de Lorenzo Mattotti, Jerry Kramsky et Faustina Fiore, dans lequel deux enfants accompagnés d’un ancien gardien de zoo découvrent des animaux improbables. Une ode à la nature reprise en France par Panama (Le mystère des anciennes créatures, 2007).

Enfin, Toni Mannaro in “note di città” (Manuela Salvi et Maurizio A. C. Quarello), ou le parcours d’un loup saxophoniste qui tarde à se faire admettre comme jazzman dans le Maria Pig’s band à cause, sans doute, de poils un peu trop noirs et de dents un peu trop longues. En France : Toni Mannaro dans “ballade nocturne”, Rouergue 2007.

Orecchio acerbo