En 2007, les éditions Sarbacane se sont mises à la bande dessinée. Cette maison exigeante, réputée pour les beaux ouvrages qu’elle donne à lire aux enfants, a eu la riche idée de mettre aux commandes de son nouveau département Gwen de Bonneval, dessinateur, scénariste, ex-rédacteur en chef du mensuel Capsule cosmique.

Comment faire de la bande dessinée populaire sans servir les thèmes rebattus, les clichés cinématographiques ou les tics à la mode ? Comment témoigner d’une vraie personnalité d’auteur sans tomber dans le narcissisme ? Sarbacane répond à ces deux questions avec une certaine grâce.

Le journal de bandes dessinées Capsule cosmique fut l’aboutissement d’un projet collectif, celui d’une équipe d’auteurs travaillant dans le même atelier. “Nous étions frustrés de voir ce qui était proposé aux enfants en matière de bande dessinée. Cela était particulièrement frappant en presse, où l’on ne trouvait que très peu de magazines spécialisés, au ton souvent vulgaire ou vieillissant […] Il fallait se mouiller, voir les choses en grand, développer un mouvement susceptible de changer les mentalités, en s’appuyant sur la personnalité des auteurs actuels. Pourquoi ne pas créer un magazine constitué intégralement de bande dessinée ? Et surtout, ne pas faire de fausses histoires pour enfants. Si les histoires sont bonnes, elles intéresseront un plus large public” (Gwen de Bonneval in L’Éprouvette n°2 – L’Association, 2006).

Les éditions Milan, d’abord séduites par l’idée, s’emparent du label Capsule cosmique et publient un premier numéro en septembre 2004. L’expérience est hélas abandonnée moins de deux ans plus tard. Les arguments financiers avancés par le groupe de presse (entre-temps racheté par Bayard, propriétaire des revues Pomme d’api, Notre temps et Prions en église) ne permettent pas de convaincre les protagonistes pour qui l’arrêt demeure un beau gâchis. Pour en savoir plus, procurez-vous le numéro 2 de L’Éprouvette. En vente dans toutes les bonnes librairies,

Bilan de l’aventure : quelques albums toujours disponibles (Pipit Farlouse de Riad Sattouf, Le voyage d’Esteban de Matthieu Bonhomme, Tête noire de Hervé Tanquerelle etc.). Les séries sont interrompues pour des problèmes de droit.

2007 : une nouvelle épopée commence. Sarbacane publiait déjà de la bande dessinée pour le jeune public dans sa collection Sapajou. Les livres du département BD seront cartonnés et de format variable. La pagination, libre (cela va pour l’instant de 48 à 160 pages), sert l’histoire plutôt que la mise en boîte du service marketing.

gwen.jpg

Entretien avec Gwen de Bonneval

Comment s’est opérée la rencontre avec Sarbacane ?

Après l’arrêt de Capsule cosmique dont je m’occupais avec Stéphane Oiry chez Milan, on a eu des contacts avec plusieurs éditeurs. En fait, on a appris l’arrêt alors que se tenait le salon du Livre, et à cette occasion on croise plein de gens. À partir du moment où le magazine ne pouvait plus être repris tel quel avec les moyens dont disposait Milan, je préférais tenter une aventure vraiment différente mais en gardant les auteurs, l’énergie, le courant qui avait été impulsé par Capsule. Capsule était une aventure de presse, avec Sarbacane on passe à  une aventure strictement éditoriale. Ce n’est pas la suite, mais une manière de pousser des projets, de les défendre et de les proposer au plus de lecteurs possible qui à mes yeux doit continuer d’exister. Dans la bande dessinée, on peut être exigeant avec soi-même, développer une vraie personnalité et partager tout cela avec pas mal de monde. Si je n’avais pas ressenti cette volonté chez Sarbacane, s’il n’y avait pas eu cette qualité qu’on peut leur reconnaître de bien s’investir dans les livres, dans leur fabrication et le suivi, peut-être n’aurais-je pas continué.

Comment cela fonctionne-t-il, quelle est ta marge de manœuvre ?

Nous sommes deux : le patron de Sarbacane Frédéric Lavabre et moi. J’arrive dans une maison d’édition de forte personnalité. Outre Frédéric Lavabre, il y a Emmanuelle Beulque et pour les romans Tibo Bérard. En ce qui concerne la bande dessinée, ils me font confiance parce que je connais le domaine mieux qu’eux, mais Frédéric Lavabre est quelqu’un qui, aimant le texte et le dessin, a aussi son expertise. Il y a très peu de bouquins sur lesquels on n’est pas d’accord. Peut-être un ou deux sur la dizaine publiée dans l’année, et dans ce cas là on ne les fait pas. Si un des deux n’est pas d’accord, il ne va pas forcer l’autre à  aimer le bouquin.

Comment se passe l’accueil des auteurs ?

Au départ de Capsule, on était un certain nombre d’illustrateurs, de dessinateurs, d’auteurs de bandes dessinées. Nous avions chacun des contacts et quand on a élaboré le projet, on a sollicité tous ces gens, on les a tenus au courant, etc. Quand le magazine est devenu bien réel, d’autres personnes sont encore apparues parce que la démarche leur plaisait bien, alors ils nous proposaient des choses. Et puis maintenant, s’ajoutent ceux qui n’ont rien pu proposer à Capsule parce qu’ils ne nous connaissaient pas, mais qui voient les bouquins arriver chez Sarbacane… C’est un mélange de tout ça. Souvent, il y a des courants d’affinités, et ça fonctionnait déjà  de cette manière-là pour Capsule. Les bouquins sont variés, c’est assez généraliste. À la différence de ce que nous faisions précédemment, nous pouvons nous adresser aux adultes comme aux enfants.

insekt.jpg Ce n’est que du travail de création, jamais d’adaptation ?

Avec Hervé Tanquerelle, nous travaillons sur Les Racontars arctiques de Jörn Riel, auteur danois qui a raconté les trappeurs et les Inuits, un magnifique écrivain. Je fais le scénario et Hervé le dessine. On a aussi acheté les droits d’un jeune auteur allemand, Sascha Hommer.

On essaie de publier les livres parce qu’ils ont des qualités propres, et non parce qu’ils ressemblent au bouquin qu’on a fait juste avant. Après, c’est subtil, ce sont des choix éditoriaux personnels, je pense qu’il y a une cohérence derrière. On a choisi d’avoir un angle généraliste et pas pointu. On ne fait pas de “collections” comme ça se pratique actuellement avec l’adaptation ou le polar etc. Ça ne nous a pas intéressé. On s’est dit qu’on allait faire une dizaine de livres par an. On veut accueillir des projets qui sont bons parce qu’ils sont proches des auteurs. Les auteurs ne sont pas tous bons dans l’adaptation, le polar ou la jeunesse. Nous préférons donc partir de l’envie propre de l’auteur, en l’accompagnant pour essayer de faire le meilleur bouquin. Mon travail, c’est de ne rien dire s’il n’y a rien à dire. Je sais ce que c’est de faire un livre puisque j’écris moi aussi. Il y a toujours des moments où on peut discuter avec les auteurs. “Tiens, il y a un passage où on comprend moins, qu’est-ce que tu as voulu dire par là ?”, je fais exprès de donner une mauvaise solution pour qu’ils trouvent autre chose eux-mêmes, parce que c’est à  eux de le faire, ce n’est pas à moi de me substituer à leur travail.

robot.jpg Est-ce que le principe de livres “tout public” est essentiel dans le cahier de charges ?

En partie. Un livre pour la jeunesse vraiment intéressant doit aussi plaire aux adultes. Quand on fait un tel livre, on n’a pas envie de le contenir dans un ghetto. Il y a plein d’adolescents ou d’adultes à  qui il pourrait plaire, mais qui n’iront pas vers le bouquin si on lui appose une étiquette “réservé à  la jeunesse”. Mais nous faisons aussi des choses qui, par le sujet et le ton employés, s’adressent spécifiquement aux ados et aux adultes.

Quelle place laisse l’éditeur à l’auteur Gwen de Bonneval ? Publieras-tu ton propre travail ?

Ça arrivera peut-être — ça arrive avec l’adaptation des Racontars arctiques — mais ce n’est pas du tout l’idée à la base. En tant qu’auteur, je suis content qu’un éditeur me choisisse et ait envie de publier mon bouquin, qu’il prenne en charge le livre sur tous les plans. C’est un métier, l’édition, et je ne prétends pas être à la fois auteur et mon propre éditeur. Ce serait un peu dommage. Il manquerait un regard. Pour en revenir aux Racontars, la base de Jörn Riel est vraiment extraordinaire, à la fois simplissime et très riche. Le texte est tellement fort qu’il est déjà en place d’un point de vue éditorial, c’est rassurant pour le scénariste et l’éditeur.


meteor.jpg Sarbacane BD Ados / adultes :

Bernadou : La femme toute nue

Chrisostome : Nage libre

Duchazeau : Le rêve de Meteor Slim

Hommer : Insekt

Sterckeman : La danse du quetzal

anna.jpg Tout public :

Montaigne : Panique organique

Piette : Poncho et semelle

Ricard : Anna et Froga

Trap/Oiry : J’élève mon robot de compagnie


Gwen de Bonneval dessinateur :

Basile Bonjour, Delcourt 2001-2004

Samedi et Dimanche (avec Vehlmann) , Dargaud 2001-2005

Monsieur Forme, Delcourt 2003

Gwen de Bonneval scénariste :

Gilgamesh (avec Duchazeau) – Dargaud 2004-2005

Vladimir sur les toits (avec Hubesch) – Milan 2006

Messire Guillaume (avec Bonhomme) – Dupuis 2006-2007