S’il vit en France depuis la fin des années quatre-vingt, Chen puise toujours sa matière narrative dans la culture chinoise. Peintre et dessinateur de formation classique, il jongle avec les formes, réserve l’abstraction pour ses toiles, dompte son trait quand il s’agit de raconter une histoire en dessins. Sa bibliographie est riche d’une dizaine d’albums pour enfants ; il s’est aussi essayé à la bande dessinée.

Chen est né en Chine en 1963. Son enfance est marquée par la Révolution culturelle (1966-1976), donc la pénurie et la difficulté d’exprimer son envie de dessin. Il intègre les Beaux-arts de Pékin après la tourmente, débarque à  Paris en 1987 pour terminer ses études.

chen1.jpg Il vit de sa peinture avant de faire des livres : la rencontre avec l’École des Loisirs s’est faite par hasard. Il a d’abord illustré les récits des autres puis, sur les conseils de l’éditeur, s’est mis à imaginer ses propres albums. Écrire en français fut difficile, au début. Au fur et à  mesure des livres, la narration s’est libérée avec des textes plus courts. “J’écris avec mes dessins et j’illustre avec mes textes. J’aime le décalage entre les mots et les images ; ça donne une autre dimension, un dynamisme”.

On ne raconte pas des histoires aux enfants de façon anodine. Le passé de l’auteur se confronte au monde contemporain. Le démon de la forêt décrit la rencontre entre deux “anormalités”, un enfant exclu par son entourage et une créature surnaturelle. Pour le Chinois installé en France, cette parabole sur la différence et la place de la spiritualité dans notre société de consommation était importante.

han_gan.jpg Dans l’œuvre de Chen, la notion de transmission (de la connaissance, du savoir-faire) est centrale. Il vante d’ailleurs la vertu du travail et se considère comme artisan avant d’être un artiste. Il se dit “effaré” de ce que qu’on enseigne aux Beaux-arts aujourd’hui, le concept plutôt que la technique. Et puis, “il y a beaucoup d’artistes ou d’écrivains ratés qui pensent pouvoir réussir des ouvrages pour la jeunesse. Faux. C’est difficile, magnifique et subtil quand c’est réussi. Les enfants saisissent cela”. Ses références occidentales en la matière sont essentiellement new-yorkaises : Arnold Lobel, Maurice Sendak, des talents originaux et un statut d’artiste à part entière. Et aussi Tomi Ungerer.

“Je ne fais pas — seulement — des livres pour mon ego, pour ma carrière, mais parce que j’ai quelque chose à dire. Je le dis de voix ferme, haute et exigeante, sinon je me tais”.

La couverture du Prince tigre représente la tête d’un énorme félin tenant un enfant dans sa gueule ouverte. “J’ai dû lutter pour imposer mes images. On me disait : tu vas faire peur à tous les enfants et toutes les mères. Il faut que ce soit doux, mignon, il faut des Martine. Ben non, je ne sais pas faire des Martine”.

“Le regard de l’enfant est direct et ouvert, les enfants n’ont pas de barrière. L’âge avançant, on a peur de plein de choses. On souscrit des assurances. Plus on grandit, plus on s’enferme. Penser le monde comme un enfant ouvre les portes. Je suis un grand enfant, je crois tout ce qu’on me raconte”.

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Le poignet est relevé, le pinceau tenu à la verticale. Chen privilégie le noir et le rouge, symbole de force, de richesse et de bonheur. Ses récits sont ancrés dans l’imaginaire chinois mais il se garde de tout exotisme de bazar. “Chaque individu porte une culture de par sa naissance, c’est son identité. J’ai quitté la Chine et absorbé beaucoup de choses qui lui étaient étrangères. Quand on a quitté son pays, on a un regard peut-être plus objectif sur sa propre culture. Je voulais partager ça, faire voyager à travers mes livres. Il y a aussi toutes mes expériences personnelles mais ce ne sont pas des clichés, des chinoiseries. C’est dangereux de s’appuyer sur l’exotisme”.

Chen a publié sa première bande dessinée en 2007, Ka, sur un scénario de Lisa Bresner. La forme et la narration se jouent des codes habituels. À la poursuite d’un sabre légendaire : un drame romantique et tranchant entre Chine et Japon, au début du XXe siècle.

Son prochain ouvrage sortira en septembre. Il aura pour thème sa propre enfance. “C’est un gros livre de 80 pages sur la Révolution culturelle, qui m’a demandé deux ans et demi de travail. Je ne voulais pas porter de jugement mais témoigner de mon enfance, de mon expérience”.

À l’École des loisirs :

Un cheval blanc n’est pas un cheval (avec Lisa Bresner, 1995)

La légende du cerf-volant (1997)

Je ne vais pas pleurer (1998)

Dragon de feu (2000)

Zhong Kui (2001)

Lian (2004)

Le cheval magique de Han Gan (2004)

Le prince tigre (2005)

Le démon de la forêt (2006)

Chez Philippe Picquier :

Ka (avec Lisa Bresner, 2007)