L’Autriche n’est pas réputée pour ses bandes dessinées. En France, on ignore à peu près tout des auteurs, des journaux, des livres. On sait qu’un certain Gerhard Haderer publia voilà quelque temps une “vie de Jésus” qui fit scandale en son pays. Et puis il y a Nicolas Mahler, un artiste remarquable par le minimalisme de son trait et sa virtuosité burlesque.

Il est né en 1969 à Vienne et vit toujours là-bas. Il dessine pour des journaux et magazines autrichiens, allemands et suisses (dont Strapazin). Ses livres sont édités en France (L’Association, L’Ampoule), au Canada (La Pastèque) et aux USA (Top Shelf).

Avec ses compères Rudi Klein et Heinz Wolf, il a ouvert en 2003 dans le quartier des musées viennois le Kabinett für Wort und Bild (qu’on pourrait traduire par “cabinet pour mots et images”) pour promouvoir son mode d’expression.

L’Autriche n’est pas réputée pour ses bandes dessinées. À tel point que les fonctionnaires autrichiens du fisc s’interrogent : le taux d’imposition auquel sont soumis les auteurs de bandes dessinées peut-il être celui affecté aux artistes ? Question posée en images dans L’Art selon madame Goldgruber (L’Association), un essai qui traite plus généralement de l’énergie dépensée par le dessinateur pour franchir le mur d’incompréhension dressé quotidiennement devant lui.

lame.jpgMahler raconte des histoires de cow-boys et de courses automobiles, revisite Emmanuelle et les classiques de la Hammer avec le même bonheur, la même ironie et la même économie stylistique. “Ses personnages sont sans bouche, sans yeux, sans oreilles, mais certainement pas sans caractère”.

Une table et une chaise : l’environnement des bonshommes à grand pif est sommairement planté. Mahler dessine dans le plus pur style “ah ben moi mon gosse y pourrait faire pareil et pourtant y a pas d’artiste dans la famille” sauf que bien sûr, ce n’est pas aussi simple. Réussir à conjuguer sobriété et efficacité n’est pas donné à tout le monde. De plus, Mahler n’est pas de ces paresseux qui compensent la faiblesse de leur trait par une débauche de texte. Aucune méprise possible : ici, le dessin est roi.

Sa série Flaschko (deux tomes chez L’Association) a été adaptée en dessin animé. Décor unique : un fauteuil sur lequel est installé le personnage principal (Flaschko, donc) dans une couverture chauffante. En face, une télévision et au second plan, la maman du héros qui tente de communiquer avec son fils. Toutes les mamans sont confrontées à cette difficulté. Quand elle doit se rendre à l’hôpital pour subir une intervention chirurgicale, la maman de Flaschko quitte le décor et le lecteur imagine ce qu’il ne voit pas, le trajet, l’hospitalisation, le médecin et tout le reste. Quelques strips plus tard elle réapparaît derrière le canapé, on en déduit que l’opération s’est bien passée. Mahler maîtrise les fondamentaux de son art, l’ellipse et la suggestion.

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Il réalise aussi des livres illustrés à l’intention du jeune public (que ses admirateurs adultes se procurent pour eux-mêmes). Ainsi, le cauchemar, aux éditions Bréal, narre le désarroi d’une espèce de diablotin vecteur de mauvais rêves qui ne réussit plus à effrayer les dormeurs, et doit en plus se coltiner le mauvais goût de ses collègues de la nouvelle génération. Bichromie bleu/noir subtile et très drôle.

art.jpgSérie Z (L’Association, décidément) constitue une bonne introduction à l’œuvre de Mahler, pour peu qu’on aime les films d’horreur à l’ancienne — muets, puisque ce livre est sans parole — avec momies, loups garous, vampires et ce bon vieux monstre de Frankenstein. Nos héros sont confrontés à des problèmes récurrents : la momie sème ses bandelettes, le loup garou récupère dans son pelage toutes les feuilles mortes qui traînent, le monstre de Frankenstein se déplace trrrès lentement, rapport aux semelles plombées de ses grosses chaussures de rééducation.

Une page Wikipédia recense la plupart des titres de Nicolas Mahler édités en France. Ils sont passés, passent ou passeront par les étagères de Contrebandes.