Enfin un thème gai et rafraîchissant ! La maladie n’épargne pas les artistes ni leur travail. Elle touche l’auteur dans sa chair ou affecte un proche, d’où, parfois, le repli introspectif sur la table à dessin. L’exercice est délicat, car la frontière reste étroite entre l’œuvre cathartique à portée universelle et le récit besogneux saturé de pathos.

Espoir et désespoir (selon le résultat des analyses médicales), angoisse et fatalisme, dépression et euphorie, explosion du cercle familial ou, au contraire, resserrement des liens distendus, enfermement et ouverture, tendresse et aigreur, apitoiement et dérision (pour souffler un peu), larmes et éclats de rire : la plupart de ces récits, inscrits dans la veine autobiographique, condensent naturellement l’huile essentielle de l’humanité.

Pilules bleues de Frederik Peeters (Atrabile – 2001).

Deux chemins se croisent puis se rejoignent. Elle est séropositive, lui ne l’est pas. Elle est mère d’un enfant qui porte aussi le virus. Comment se débrouille-t-on avec ça ? Instants de vie d’un couple moderne et “discordant”, selon la terminologie utilisée par le corps médical. Beaucoup de sensibilité dans l’œuvre de Peeters, ce qui n’étonnera pas les habitués de Lupus et Koma.

papa.jpgPapa est un peu fatigué de Ville Ranta (Ça et là – 2006).

Dix-huit mois de croquis, extraits du journal d’un homme au foyer désespéré. Tout commence quand l’auteur et sa compagne découvrent le diabète de leur petite fille. Ranta parle surtout de lui, raconte ses états d’âme, l’épuisement et la déprime, sans chercher à enjoliver un autoportrait radical. Aussi curieux que cela puisse paraître, le résultat est parfois très drôle.

sclerose.jpgSclérose en plaques de Mattt Konture (L’Association – 2006).

Membre fondateur de l’Association, Konture reprend ses “comixtures autobio” après qu’on lui a diagnostiqué la maladie dégénérative. Au delà d’une simple chronique, il revisite son œuvre à  la lumière du diagnostic, nous montre des planches-symptômes dessinées à une époque où il se croyait plus ou moins hypocondriaque. “Mes états de grosse fatigue, où je me suis senti comme un “mort-vivant” : ne parlant pas, reclus dans mon mal-être… Maintenant que je connais ma maladie, je sais, quand je deviens prostré par la fatigue, que c’est elle qui en est la cause”. Honnête, précis, très loin de l’auto-apitoiement : un travail remarquable.

Deux ouvrages sur le crabe sortis à quelques semaines d’intervalle :

Le cancer de maman de Brian Fies (Ça et là – 2007).

Un dessin chaleureux pour une aventure familiale mettant en scène l’auteur et ses sœurs, cocon protecteur de leur mère. Le regard attentif d’un journaliste scientifique, mi-narquois mi-empathique, sur les errances médicales et le parcours de soins. Beaucoup d’espoir et de générosité dans ce livre prépublié sur le web.

Comment le cancer m’a fait aimer la télé et les mots croisés de Miriam Engelberg (Delcourt – 2007).

Chronique quotidienne, caustique et décalée, d’une dessinatrice confrontée au cancer du sein”, explique la quatrième de couverture. La maladresse et le minimalisme du dessin ne desservent pas le propos. Mais si la chronique est bien “caustique et décalée”, elle est aussi un peu plombante. En choisissant de compléter le récit par la préface d’un médecin et quelques pages d’adresses utiles (sans oublier d’indiquer que l’auteur est morte de son cancer), l’éditeur “ghettoïse” le livre : ne sont ciblés que les lecteurs directement touchés par la maladie. Pour la portée universelle, on ira chercher ailleurs.

Sur la maladie d’Alzheimer : Rides de Paco Roca (Delcourt 2007).

ascension.jpgL’ascension du haut mal de David B. (L’Association, 6 volumes, 1997-2003).

Le “haut mal” est le nom parfois donné à l’épilepsie, trouble neurologique dont souffre le frère aîné de David B. L’auteur se forge dans le rêve et l’imaginaire une armure avec laquelle il peut affronter la maladie qui ronge l’équilibre familial. Son art se révèle progressivement, en contrepoint du handicap. Chef d’œuvre.

Deux fictions pour conclure :

black_hole.jpgL’adolescence est-elle une maladie ? On peut la voir comme ça : un mal auquel on n’échappe pas et dont on ne sort pas indemne. C’est le propos que développe Charles Burns dans Black hole (Delcourt – 2006). Les mutations qui affectent les jeunes gens dans le livre renvoient aux transformations corporelles de la puberté. Notons qu’en plus, la “crève” se transmet comme le sida. Autre argument de cet ouvrage fondamental : l’ennui est un des principaux symptômes du mal adolescent.

On retrouve cette idée dans Lucille de Ludovic Debeurme (Futuropolis – 2006). La rencontre et l’errance de deux adolescents un peu perdus, une fille souffrant d’anorexie et un garçon dont le père s’est suicidé. 500 pages débarrassées du gaufrier classique, un trait sensible pour une œuvre rude et magnifique.