L’association des critiques de bandes dessinées (ACBD) publie son rapport annuel : Une année de bandes dessinées sur le territoire francophone européen. On y évoque “la maturation” de “la BD”, en mixant tous les livres avec images dans la même soupe.

AFP, 1er janvier 2007 – “ 2006, année record pour la BD. La production de bandes dessinées a connu en 2006 une nouvelle année record, avec 4.130 titres publiés en France et dans l’espace francophone européen, soit 14,7% de plus que l’année précédente, selon le rapport annuel de l’Association des critiques de bandes dessinées (ACBD). En augmentation constante depuis onze ans, le nombre de BD éditées en 2006 “représente près du triple des 1.563 ouvrages publiés en 2000”, et tous les genres progressent, note l’ACBD […]

Parmi les 4.130 livres publiés en 2006, 3.195 sont des nouveautés, 612 des rééditions, 222 des livres de dessins d’humour ou d’illustrations et 101 des ouvrages d’analyse sur la BD.

Dans son rapport, l’ACBD note “un tassement relatif” du phénomène manga, qui a toutefois représenté 44% des albums publiés (+2%), avec 1.799 titres en 2006, dont 1.418 venus d’Asie […]

Début octobre, le 11e tome de “Titeuf” de Zep a été tiré à 1,8 million d’exemplaires – ce qui en fait la plus grosse sortie en librairie de l’année, tous genres confondus -, devant le deuxième “Lucky Luke” d’Achdé et Laurent Gerra, 650.000 exemplaires. Côté manga, la série “Naruto” (Ed Kana) de Masashi Kishimoto, tient la corde, avec un tirage moyen de 130.000 exemplaires.

L’ACBD note que 85 séries bénéficient “d’énormes mises en place” et se placent régulièrement parmi les meilleures ventes en librairies.

Dix-sept des 225 éditeurs présents sur le marché ont produit plus de 70% des nouveautés de l’année et l’on assiste, comme dans les autres secteurs de l’édition, à un phénomène de concentration.

Malgré une progression exceptionnelle ces dernières années, les mangas “ne cannibalisent pas les autres genres”, notamment la BD franco-belge, qui selon l’association profite au contraire de cette concurrence.

L’enquête a été réalisée par le secrétaire général de l’ACBD, Gilles Ratier”.

3195 nouveautés en 2006, en supposant les publications harmonieusement réparties sur l’année (ce qui n’est pas le cas puisque les éditeurs s’affolent dans les quatre mois précédant Noël), ça nous fait plus de 266 titres par mois, une soixantaine par semaine. À lire par le libraire jusqu’à la nausée, s’il veut correctement conseiller ses clients ?

Quelle signification accorder à  ces chiffres ? On pourra dire que nombre d’éditeurs ont remisé l’amour du bon livre bien fait pour la fuite en avant, dans une guerre économique visant à l’écrasement du voisin sous le nombre. On pourra dire que dans une librairie spécialisée censée recevoir l’ensemble de la production, tout livre n’ayant pas trouvé ses lecteurs au bout d’une semaine est un livre mort.

Les chiffres de l’ACBD attestent de la surproduction affectant l’édition française. Pour le reste, ils ne signifient pas grand chose : le qualificatif “BD”, qui tend à considérer les livres illustrés, les livres de dessins d’humour et toutes les bandes dessinées comme une entité uniforme parce que nous avons là des petits mickeys avec des mots autour, pose décidément problème.

Une sous-littérature

Chaque année, les professionnels du livre établissent un bilan global du marché de l’édition en France. Les chiffres sont présentés selon la classification “Dewey”, datant du dix-neuvième siècle, qui répertorie dix secteurs : “sciences de l’information”, “philosophie”, “religions”, “sciences sociales”, “langage”, “sciences de la nature et mathématiques”, “techniques et sciences appliquées”, “arts et sports”, “littérature”, “géographie et histoire”. La bande dessinée, qu’on ne savait où mettre, est rangée au rayon “Littérature”. Voir l’extrait ci-dessous – in Le marché du livre 2006, supplément au numéro 637 de Livres hebdo (chiffres : production 2004 / 2005 / évolution).

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Sur la seule ligne “Bandes dessinées” figureront donc les bandes dessinées pour la jeunesse, les romans graphiques, les bandes dessinées policières, de science fiction, d’ humour, les bandes dessinées de critique sociale et politique, les carnets de voyage, les bandes dessinées autobiographiques, les adaptations littéraires etc. Voilà “la BD”.

Parce que la plupart des libraires généralistes s’inspirent d’elle pour compartimenter leur négoce, la classification Dewey contribue à maintenir de nombreux livres à l’écart d’un lectorat potentiel qui ignore leur existence ou peine à passer outre les préjugés liés à “la BD” (pour l’essentiel, l’immaturité).

Pourtant, les amateurs de romans modernes sont sans doute plus proches de l’œuvre d’Alex Robinson, par exemple, que ne le seront jamais les fans de bandes dessinées d’heroïc fantasy ou de science fiction.

Dans leur rapport, les experts de l’ACBD se réjouissent du fait que “la BD est une expression culturelle de plus en plus segmentée, bénéficiant d’un lectorat éclectique et d’une croissante vitalité créatrice”. Mais l’existence même de ce rapport aurait plutôt tendance à confirmer la spécificité, l’unicité et donc l’isolement du mode d’expression qu’ils affectionnent.

Ailleurs, Time magazine consacre Fun home d’Alison Bechdel comme le meilleur livre de l’année 2006. Pas le meilleur “livre de BD”, le meilleur livre tout court.

Pour conclure sur la rédaction de la dépêche AFP, qui témoigne de la perception floue et pâteuse que l’on peut avoir de “la BD”, précisons que le terme “manga” ne caractérise pas un “genre” mais l’origine géographique de certains ouvrages et, éventuellement, un style graphique.

Franchement, qui peut raisonnablement penser que le manga “NonNonBa” et le 5ème tome franco-belge des “Blondes”, tous deux inscrits aux “3195 nouveautés de 2006”, se font “concurrence” ?

LaFlibuste