Si certaines revues suivent les voies de distribution du livre, c’est qu’elles émanent d’éditeurs qui ne se voient pas en patrons de presse. Leur vocation est de présenter la ligne éditoriale de la maison, bien sûr, mais elles balisent aussi un territoire d’expérimentation dont les auteurs sont friands. La plupart de ces revues ont pris du poids avec l’âge. Elles se souviennent toutefois qu’elles furent d’intrépides fanzines dans leur jeunesse.

Ces revues de périodicité aléatoire n’ont pas grand-chose à voir avec celles qu’on trouve en kiosque. Laboratoire, vitrine, almanach, anthologie, chaque numéro s’inscrit pour durer. Le format rejoint les collections de l’éditeur, la pagination peut atteindre plusieurs centaines de feuillets, la qualité du papier n’a rien à envier aux ouvrages traditionnels (le prix non plus). Autre distinction importante : la prépublication n’y est pas systématique. Ces revues privilégient en effet les histoires courtes aux récits “à suivre” annonçant l’album. Pas de feuilleton : pas de contrainte de régularité en matière de publication. Chaque nouveau numéro forme un ensemble cohérent pouvant s’apprécier indépendamment du précédent.

bang7.jpgIl existe aussi des périodiques indépendants qui visent les librairies spécialisées plutôt que les points de vente traditionnels parce que cette diffusion est moins lourde à gérer (JadeWeb parle de “l’arithmétique violente des kiosques”). De plus, la visibilité du titre est a priori garantie.

Notons que la durée de vie d’une revue — en kiosque ou librairie spécialisée — est inversement proportionnelle à la rentabilité attendue. 2006 aura vu la disparition de Capsule cosmique, un bon journal de bandes dessinées destinées aux enfants, et peut-être celle de Bang!, dont la nouvelle formule peine à franchir l’hiver. Cela n’empêche (heureusement) pas les nouvelles initiatives.

Revues d’éditeurs / anthologies (liste non exhaustive, mais voilà  ce qu’on trouve ces jours-ci dans la cale de Contrebandes) :

Black (Coconino press) est initialement publiée en Italie. Son directeur, Igort, se veut passeur de talents internationaux. Des artistes reconnus ici (David B., Baru…) croisent donc des artistes reconnus ailleurs (Hanawa, Huizenga, Giandelli, Gipi…). 3 numéros parus depuis 2004.

horreur.jpgL’Horreur est humaine (Humeurs) : anthologie de l’underground international en noir pour le fond, en noir et blanc pour la forme. Tout le gratin est là (de Blanquet, Blutch, Burns… à  Winshluss). Tirage extrêmement limité. Seul le numéro 8, édité à 250 exemplaires, est encore disponible.

Jade (6 pieds sous terre) : “collectif de la bande dessinée moderne”. Bouzard, Fabcaro, James@Ottoprod, LL de Mars, Nicoby, Vandermeulen… 27 numéros depuis 1995.

Lapin : “ce sont les revues qui fabriquent de l’histoire collective et de la mémoire”, dit Jean-Christophe Menu. Lapin représente donc la mémoire de L’Association, un grand nombre d’auteurs aujourd’hui bien installés sont passés par ces pages (David B., Baudoin, Satrapi, Sfar, Trondheim…). 35 numéros depuis 1992.

phaco29.jpgLe Phaco : “revue collective de bandes dessinées” publiée par l’association niçoise Groinge. Big Ben, BSK, Lynda Corazza, Fafé… Une trentaine de numéros depuis 1992.

Plan cartésien (Mécanique générale) : anthologie sommaire de la bande dessinée canadienne francophone. Une cinquantaine de “Québécois permanents ou temporaires” évoquent la ville (d’où la présence du Français Baudoin entre les régionaux Beaulieu et Rabagliati…) Troisième opus d’une série baptisée Cyclope et initiée en 1999.

Short : histoires courtes réunies par Actes sud. Un seul numéro à ce jour (2004), avec des auteurs jusque-là inconnus (Tévessin/Multier, Rutu Modan…).

Revues théoriques et/ou critiques, par ordre d’entrée en scène :

Neuvième art : les “Cahiers du musée de la bande dessinée” d’Angoulême existent depuis 1996 (édités par l’An 2). “Revue de théorie, d’esthétique et d’actualité”.

Comixclub, “revue critique de bandes dessinées” éditée par Groinge à partir de 2004. «Le projet de la revue Comixclub s’appuie sur un constat qui n’est pas récent et que beaucoup d’observateurs du genre déplorent régulièrement : l’absence, ou plutôt l’extrême discrétion de la critique en Bande Dessinée”.

L’Éprouvette : “l’Éprouvette ne veut aucune critique nulle part, merci. Le prochain qui dit “buller”, “bédéiste” ou “bédéaste” on le chie. Bonne lecture ? À eux de voir.” La revue critique et théorique de l’Association. Deux numéros en 2006, plus de 700 pages pour secouer le cocotier.

Bananas : “Bananas est une revue semestrielle entièrement consacrée à la bande dessinée. Elle publie des récits complets, de longs entretiens avec des auteurs et des comptes-rendus de livres DE et SUR la bande dessinée. Bananas s’intéresse à toute l’histoire de la bande dessinée mais défendra prioritairement ce qu’on pourrait appeler une “bande dessinée d’auteurs”, exigeante et singulière. Bananas est à dominante critique mais publie un gros supplément nommé Bananas comix, relativement autonome, plus graphique”. Deux numéros en 2006.

Revues traditionnelles :

Bang! (Casterman / Beaux-Arts magazine, puis Casterman / Inrockuptibles, puis Eric Borg). Un vrai mensuel de bandes dessinées actuelles, malheureusement victime de “l’arithmétique violente des kiosques”.

ferraille.jpgFerraille illustré (Les Requins marteaux). Ferraille illustré a toujours été distribué en kiosque. Depuis que Winshluss et Cizo se partagent le fauteuil du rédac-chef (numéro 21), le titre est d’une noire cohérence. Humour potache, plaisir esthétique et nihilisme. À ce qu’on dit, le plus enthousiasmant des journaux de bandes dessinées modernes serait mort en 2006 après son 27ème numéro. Attendons la suite. Tous les numéros de “l’ère Méroll” (21 -> 27) sont en vente à la librairie sauf le 22, définitivement épuisé.