Le fonds de Contrebandes est riche de nombreux ouvrages “rares”, dans le sens où il est difficile de les trouver ailleurs sur l’agglomération toulonnaise. Ils sont effectivement rares, souvent, parce que le tirage n’excède pas quelques milliers d’exemplaires. Les éditeurs privilégient les nouveaux titres, hésitent ensuite à s’engager dans une réimpression rarement lucrative.
Et puis… Et puis… Il y a les livres vraiment spéciaux.
Le prix du livre est directement corrélé à la qualité du papier, aux moyens mis en œuvre pour la reproduction des originaux et au soin apporté à sa réalisation. Le beau livre fabriqué de façon quasi artisanale est donc cher, au regard des produits culturels à “usage rapide” (ne parlons pas des produits non culturels). Il l’est moins si on considère ses qualités intrinsèques, le travail effectué, sa durée de vie trans-générationnelle.
Il n’empêche que les livres présentés ici ne sont pas accessibles à toutes les bourses.
Bien sûr, cet article étant rédigé à une encablure de Noël, on peut le considérer comme une pierre supplémentaire apportée à l’édifice consumériste… Mais il faut noter qu’aucun de ces ouvrages n’est franchement nouveau. Ils ne sont pas non plus destinés à prendre la poussière sur une étagère après avoir été parcourus une seule et unique fois, cadeau gadget parce-qu’il-faut-bien-offrir-quelque-chose. Ces pièces-là peuvent et doivent être manipulées, lues, senties, montrées encore et encore.
xxx
Le plus démesuré de ces livres est certainement celui que Delcourt sort opportunément en novembre. “Ah ! Vous voyez bien : une nouveauté !” Oui et non : la réédition très attendue d’un chef d’œuvre absolu de la bande dessinée mondiale, Little Nemo in Slumberland, créé par Winsor McCay en 1905. On ne trouvait plus trace de cette œuvre que chez l’éditeur Horay, dans une compilation approximative de 1969…
Little Nemo in Slumberland – le grand livre des rêves ne constitue pas une intégrale mais propose un choix de 110 pages restaurées numériquement, plus une biographie de l’auteur et des commentaires prestigieux. Il s’agit de l’adaptation française d’un ouvrage sorti à l’occasion du centenaire aux États-Unis. Un collectionneur, Peter Maresca, n’était pas satisfait des rééditions publiées jusque là. Constatant de plus la dégradation irrémédiable des copies originales, il s’attela à leur restauration. Son ambition était de publier une sélection de pages telles qu’elles apparurent aux lecteurs de l’édition dominicale du New York Herald à partir de 1905. Mêmes couleurs, mêmes dimensions (41 x 53 cm !), support mat et rugueux ressemblant à du papier journal. Les défauts d’origine sont conservés, certaines altérations dues au temps n’ont pu être effacées. Chris Ware, l’auteur maniaque de Quimby the mouse et de Jimmy Corrigan se déclare fasciné par le résultat. Quand on connaît l’exigence du bonhomme, on se dit qu’on peut raisonnablement laisser le livre dans son emballage protecteur pour en faire l’article (malheureusement pour la libraire, qui aimerait bien le feuilleter). Démesuré : le prix, un euro par page, 125 au total…
xxx
Katsumi Komagata est un graphiste japonais qui publie des livres pour enfants depuis 1990. Grand manipulateur de formes, il travaille sur le concept de “livres tactiles” à destination des enfants et des aveugles. Plis et plans, co-édité par les Doigts qui rêvent, Les Trois Ourses, One Stroke et le Centre Pompidou, est un ouvrage inclassable quasiment sans texte (braille et japonais !). Une invitation au toucher. “En prenant le temps de découvrir ce qui se cache derrière l’apparence des formes, le lecteur s’immerge dans un univers de signes simples et fondateurs, à la base des principes de l’esthétique et de la géométrie. Il déplie les figures, en déplace les surfaces et les plans, les déploie dans l’espace…” explique Sophie Curtil. 65€.
Deux autres livres de Katsumi en rayon : Leaves et L’endroit où dorment les étoiles (le seul en français). Un peu moins chers et tout aussi magnifiques. Inracontables. Venez les voir.
xxx
Dans un genre plus académique, André Juillard nous présente dans Entracte (Daniel Maghen) une somme de ses dessins et manuscrits : 432 pages préfacées par Bilal. 55€.
xxx
Alain Beaulet publie de temps à autre des livres de bandes dessinées, mais plus souvent des compositions confidentielles autour des dessinateurs : port-folios, tirages de tête, eaux fortes, cahiers etc. Parmi les ouvrages adoptés par Contrebandes, citons Sur l’épiderme, de Blanquet (pour un public averti), et quelques “petites boîtes” de sérigraphies d’auteurs que nous aimons : Blanquet encore, Dupuy et Berberian, Avril, Loustal. Ces ouvrages sont numérotés et signés. Ils coûtent tous 70€. Cassez la tirelire.