C’est l’histoire d’un petit garçon que le sommeil entraîne vers une contrée imaginaire. Une princesse, un chenapan fumant le cigare et un “bon sauvage” seront ses principaux compagnons d’aventure. À la fin de chaque page Nemo se réveille. La trame est mince.

Winsor McCay n’a certes pas inventé l’enfance ni les mondes imaginaires. Il n’est pas non plus à  l’origine de la bande dessinée (Rudolph Dirks crée Pim Pam Poum et impose l’usage des phylactères dès 1897).

Quelques repères : Lewis Carroll publie Alice au pays des merveilles en 1898. L’interprétation des rêves, de Sigmund Freud, sort en 1900. Le personnage de Peter Pan fait son apparition en 1902 sous la plume de James Matthew Barrie, il attendra 1911 pour devenir le personnage central d’un roman : Peter et Wendy. Little Nemo est publié dans la presse entre 1905 et 1913, à raison d’une page par semaine.

Winsor McCay n’invente donc rien et exploite un thème très en vogue au début du vingtième siècle, mais le résultat est incomparable. La fluidité du trait, les perspectives méticuleuses soutiennent une imagination sans limite. Bien que la bande dessinée soit alors balbutiante, McCay en explore les possibilités comme peu le feront dans les décennies à venir. Souvent, ses personnages sont happés par le vide et tombent dans des décors en mouvement perpétuel. L’auteur lui-même paraît surpris de sa propre audace. “Case après case, rêve après rêve, McCay a créé une architecture de l’imaginaire. Que reste-t-il de cette architecture si nous l’observons avec nos yeux d’aujourd’hui ? Une grande grâce, illuminée par une intelligence formidable, l’étonnement devant des trouvailles graphiques et narratives qui ne sont jamais une fin en soi” (Igort). “Comme beaucoup de précurseurs, Mc Cay touche d’emblée au cœur de la spécificité de son art. L’invention se double chez lui d’un véritable inventaire : ne cessant de s’étonner des figures qu’il met au jour, il explore de façon quasi méthodique les possibilités de la bande dessinée” (Benoît Peeters). In Little Nemo 1905-2005, un siècle de rêves, les Impressions nouvelles – 2005). Igort est auteur (Fats Waller, 5 est le numéro parfait) et éditeur (Coconino press). Peeters est théoricien, critique et scénariste, en particulier des Cités obscures dessinées par François Schuiten (…et influencées par Nemo).

chevalbl.jpgTombé dans l’oubli pendant près d’un demi siècle, Little Nemo est reconnu comme un chef d’œuvre depuis la fin des années soixante. De nombreux auteurs contemporains, et pas des moindres, ne cachent pas leur fascination. Moebius, par exemple, a participé à la conception graphique d’un dessin animé reprenant la trame de Little Nemo in Slumberland (apparemment décevant, mais nous ne l’avons pas vu), et a même scénarisé quelques albums inspirés du personnage. Surtout, le rêve tient une part essentielle dans l’écriture de Jean Giraud, un rêve pas toujours très naturel — il faut dire que les années soixante-dix étaient très expérimentales dans de nombreux domaines. Essayez de vous immerger dans les intrigues du Garage hermétique : l’ouvrage porte bien son nom.

David B., qui comme Moebius et quelques autres a rendu hommage à  McCay pour le centenaire de Nemo (Op.cit.), est obsédé par ses rêves au point de noter le matin ce dont il a rêvé la nuit, puis de le traduire en bandes dessinées. Si l’onirisme marque l’ensemble de son œuvre, ses cauchemars constituent l’objet spécifique de deux livres : Le cheval blême (L’Association) et Les complots nocturnes (Futuropolis).

Qui est Nemo ? Un enfant détaché du contexte familial, perdu dans un monde fantasmagorique que les adultes ne peuvent comprendre. Comme Alice, comme Wendy.

Comme Chihiro, dans le voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki (à voir sur écran plutôt que sur livre !), autre admirateur du travail de McCay. Précisons que McCay fut aussi un des premiers artisans du dessin animé.

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Comme Linda, dans La forêt de l’oubli de Nadja (Bayou / Gallimard jeunesse), avec certaines formes architecturales qui renvoient à celles de Slumberland.

Comme Philémon de Fred (Dargaud, 15 albums parus).

Restons un instant sur ce monument oublié. Philémon est un gentil rêveur évoluant dans un paysage rural avec un père trop cartésien. En tombant dans un puits, il aboutit sur le A de “océan Atlantique”. Car ces deux mots que l’on pourrait croire ajoutés à l’intention du lecteur de mappemonde forment en réalité un archipel d’îles… philemon2.jpg

Si vous n’avez pas les moyens de vous offrir Little Nemo in Slumberland – le grand livre des rêves (Delcourt – 125 euros !), procurez-vous un des albums qui composent la série des Philémon. Tiens, au hasard : L’île des brigadiers. Une merveille impressionniste pour petits et grands, toute en volutes colorées.

Pour aller plus loin avec Nemo, le dinosaure Gertie et les autres créations de McCay : le dessinateur est l’objet d’une biographie écrite par Thierry Smolderen et dessinée par Jean-François Bramanti (Delcourt). 4 tomes où l’onirisme — toujours lui — se joue du réel, même si les personnalités et les décors qui ont marqué la vie de l’artiste sont au rendez-vous.