Le récit de guerre a bien évolué depuis un demi-siècle. De la propagande romantique au documentaire accrochant le réel en passant par la fiction dénonciatrice, la fleur au fusil a quelque peu fané.

Années cinquante-soixante : dans la foulée de la deuxième guerre mondiale, les récits manichéens qui célèbrent le courage, la droiture et l’honnêteté — en un mot l’héroïsme — contre la lâcheté, la duperie et la méchanceté font flores. Ils opposent les glorieux vainqueurs et les affreux vaincus, l’occident libre et le bloc soviétique, la sérénité judéo-chrétienne et le péril jaune. Les fumetti d’origine italienne envahissent les quais de gare et rejouent USA vs Axe (du mal). dancooper.jpgC’est aussi l’époque bénie des héros patriotes au regard clair et menton carré dont la vocation principale est de porter l’uniforme. En Franco-Belgique, ce genre doit beaucoup à Jean-Michel Charlier, avec Buck “Les japs attaquent” Danny et Tanguy “Pour l’honneur des cocardes” & Laverdure.

Les premières fissures apparaissent dans les années soixante avec la guerre du Vietnam. Les nouveaux auteurs sont moins imprégnés du souvenir de la seconde guerre mondiale que du pacifisme émergeant à grande échelle. L’âge d’or des récits de guerre à la papa est terminé, même si ceux-ci disposent toujours d’un public (plutôt attaché aux affaires militaires, au réalisme des avions et des combats sous-marins) et d’auteurs pour satisfaire ce public. Voir par exemple Les derniers corsaires des Canadiens Houde et Richard.

latranchee.jpgDepuis les années soixante-dix la guerre se décrit dans sa cruauté, son absurdité …et parfois son humanité. Dans Les scorpions du désert de Hugo Pratt, les belligérants ne sont jamais très éloignés les uns des autres. Les situations restent essentiellement circonscrites aux deux grands conflits du vingtième siècle (parce que si un auteur met en scène la guerre de cent ans, on appelle ça un récit historique).

Tardi est le grand contempteur de 14-18 (La fleur au fusil, C’était la guerre des tranchées…) mais des auteurs plus jeunes s’intéressent aussi à  la “der des der” (La tranchée par Adam/Cady/Marchetti, la Lecture des ruines par David B., La ligne de front par Larcenet).

allersimple.jpgY a-t-il des périodes plus propices que d’autres au choix de ce thème ? Le nouvel album de Comès, Dix de der, est un quasi huis clos dans un trou d’obus creusé lors de la deuxième guerre mondiale. Bouffonnerie cruelle à la fin prévisible. Récemment sorti lui aussi, Aller simple de Piero Macola se situe à la même époque et prend pour objet la déroute italienne après le débarquement américain, à travers le parcours très réaliste d’un jeune soldat. Thème rarement abordé en bande dessinée, surtout du point de vue du perdant !

Gorazde.jpgAujourd’hui, le récit de guerre en BD s’éloigne de la fiction pour se rapprocher du réel. Peu ou pas (encore ?) de fictions autour des derniers conflits en date, mais des livres-documentaires.

Le fer de lance du journalisme dessiné se nomme Joe Sacco. Cet auteur américain s’est rendu à  Gorazde pendant le conflit de Yougoslavie pour en tirer un ouvrage éponyme sur la vie quotidienne des civils. Un témoignage incomparable renforcé par la liberté iconique. Contrairement aux docus-fictions qui se développent à  la télévision il n’y a ici aucune ambiguïté : l’auteur lit ses notes, compile ses prises de vue, se remémore et met en scène, c’est forcément une interprétation de la réalité et le lecteur l’aborde comme tel.

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À noter : le travail d’Emmanuel Guibert sur les milliers de clichés rapportés d’Afghanistan (à  l’époque de la guerre contre l’envahisseur soviétique) par Le photographe Didier Lefèvre, et son œuvre de mémoire, La guerre d’Alan, d’après un entretien au long cours avec un ancien soldat américain pris dans la tourmente de la seconde guerre mondiale.